Permettez-moi vous répondre par un classement en forme de quarté ?
Je placerai au premier rang le statut. Il existe depuis vingt ans un consensus politique en faveur de son évolution, ce qui signe bien l'intensité du besoin. Il faut faire évoluer le statut de telle sorte qu'on ne puisse plus suspecter certains déroulements de carrières et l'intervention du politique dans le processus de nomination. Aux termes du statut actuel, il est normal que le Président de la République s'intéresse à la nomination de certains hauts magistrats, puisque c'est lui qui signe le décret.
Je mettrai au deuxième rang le conseil supérieur de la magistrature. Son statut constitutionnel actuel s'explique par une époque antérieure, et il faudrait le faire évoluer. Le Président de la République, garant de la Constitution, est aussi le garant de l'indépendance de la justice. Dans la Constitution, il est écrit que le Président est garant de l'indépendance de la justice avec l'assistance du conseil supérieur de la magistrature. Cette rédaction se comprenait quand le président de la République présidait le CSM, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Le garant au quotidien de l'indépendance de la justice, c'est le conseil supérieur de la magistrature. Il faudrait élargir ses compétences en lui donnant la possibilité de se saisir de toute question mettant en cause l'indépendance et l'impartialité de la justice et en ne réservant pas son intervention aux cas dans lesquels il est saisi d'une demande d'avis par le président de la République ou par le garde des Sceaux.
Le troisième point est celui de l'indépendance financière. On ne va pas au bout du raisonnement. Tout le monde convient que de nombreux efforts budgétaires ont été consentis ces dernières années en faveur de la justice. Il faut les poursuivre car cet effort est dilué dans la masse. Au cours des dix dernières années, la majorité des efforts budgétaires destinés au ministère de la justice ont, en effet, été absorbés par la nécessité d'améliorer la qualité et la quantité du parc pénitentiaire. L'indépendance de la justice gagnerait à une meilleure identification et à un ciblage des budgets affectés aux services judiciaires et à l'administration des juridictions.
Le dernier point, et non le moindre, est celui de la formation. Après un certain nombre d'affaires qui ont agité la justice tout en montrant qu'elle savait évoluer et se remettre en cause – l'affaire Outreau, l'affaire Bismuth-Aziber, l'affaire « mur des cons » –, la préoccupation centrale du ministère, des pouvoirs publics et de l'école de la magistrature a été d'insuffler dans l'esprit des jeunes magistrats en formation et des autres une très grande vigilance en matière d'impartialité, d'indépendance et d'observation des devoirs déontologiques. C'est l'objet du code de déontologie dont j'ai apporté quelques exemplaires. Il a beaucoup évolué. Une première mouture, rédigée il y a neuf ans par le CSM, se bornait à rappeler les grands principes. Celui-ci se double d'une annexe évoquant des mises en application pratiques des grands préceptes déontologiques pour aider les magistrats à adopter la bonne conduite.
À cela s'ajoute l'obligation de déclaration d'intérêt à laquelle nous sommes désormais soumis dans le cadre de nos fonctions. Quand j'étais procureur de Paris, j'avais 135 collègues, mais je n'ai jamais délégué cette tâche. J'ai toujours fait moi-même les entretiens déontologiques sur la déclaration d'intérêt, pour saisir cette occasion de les sensibiliser à la vigilance dont ils devaient faire preuve quotidiennement, notamment par rapport à l'obligation d'impartialité, et leur rappeler que s'ils sentaient une trop grande proximité avec tel dossier ou tel justiciable, ils devaient se déporter. Nous avons fait beaucoup de progrès, mais c'est un combat permanent. C'est un sujet auquel les jeunes magistrats sont plus sensibles que les magistrats sortis de l'école il y a vingt ans.