Intervention de François Molins

Réunion du mercredi 5 février 2020 à 14h30
Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

François Molins, procureur général près la cour de cassation :

La plupart des procureurs que je vois au CSM viennent pour les entretiens déontologiques sur les déclarations d'intérêt. Il y a, en réalité, deux catégories de magistrats. Pour la quasi-totalité d'entre eux, les déclarations d'intérêt sont quasiment sans contenu. Quand on est jeune, on n'a pas de grosse fortune. Pour une autre catégorie, composée d'anciens avocats, de juristes et d'autres personnes qui ont été intégrés dans la magistrature après avoir eu une première vie professionnelle, il convient d'être particulièrement vigilant sur le contenu de leur déclaration afin de prévenir tout conflit d'intérêt. L'exercice prend beaucoup plus de sens et conduit à aller plus dans le détail.

Pour les jeunes magistrats et les magistrats judiciaires sortis de l'école et ayant passé le concours, l'exercice est rapide. J'utilisais la déclaration pour tenir à chacun d'eux un discours dans lequel je prenais le contre-pied du préambule indiquant que la déclaration d'intérêt ne demande aucun compte des opinions religieuses, philosophiques, politiques ou cercles de pensée. Je leur disais : je vais vous en parler, non pour savoir ce que vous pensez, mais pour vous sensibiliser au fait qu'à partir du moment où le courant de pensée syndical ou politique auquel vous appartenez commence à entrer dans la sphère publique, il convient, pour chacun des dossiers que vous avez à traiter, de vous demander si vous devez vous déporter ou pas. Vous présidez un grand procès, vous êtes assesseur dans une formation correctionnelle ou dans un procès environnemental et vous êtes en même temps vice-président de l'association locale d'aide aux victimes ; c'est une entorse à l'impartialité objective. En ce cas, on se déporte. Si on ne se déporte pas, on prend le risque d'insécuriser la procédure et la décision qui sera prise.

Je le répète, la grande majorité des magistrats sont attentifs à l'observation des préceptes déontologiques. Mais j'en ai vu un certain nombre qui, ayant perdu certains repères déontologiques, ont eu dans la conduite d'une procédure une attitude non conforme au devoir d'impartialité. Le chef de juridiction doit alors agir. J'ai toujours essayé de faire la part des choses entre ce qui relevait du simple rappel à l'ordre – je faisais venir le magistrat et en général, il comprenait ce que je lui expliquais –, de ce qui relevait d'un rapport au parquet général en vue d'un avertissement par le procureur général ou d'une saisine du conseil de discipline. Il ne faut pas se tromper dans cet exercice qui est au cœur du travail des chefs de juridiction. Quand on est président ou procureur, ou premier président ou procureur général en charge de la déontologie, on doit veiller à ce que les magistrats gardent leurs repères et on est chargé de leur évaluation. Lorsqu'un dossier passe devant le conseil supérieur de la magistrature, on entend les intéressés mais on examine surtout le contenu du dossier. Le chef de juridiction a le devoir élémentaire d'identifier les anomalies ou les manquements au seuil de vigilance et de faire preuve d'une action pédagogique qui peut aller du simple rappel à l'ordre à la procédure disciplinaire.

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