Intervention de Catherine Champrenault procureure générale près la Cour d'appel de Paris

Réunion du jeudi 6 février 2020 à 16h00
Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Catherine Champrenault procureure générale près la Cour d'appel de Paris :

Merci de m'avoir invitée à m'exprimer au sujet de cette question importante pour notre démocratie et pour l'ensemble de nos concitoyens, celle des obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire.

J'observe, monsieur le président, que vous avez substitué à l'expression constitutionnelle d'autorité judiciaire celle de pouvoir judiciaire. Je crois deviner que cette substitution n'est pas tout à fait fortuite même si, étymologiquement, l' auctoritas latine est une vertu supérieure à la potestas.

Nos concitoyens ont souvent une image dégradée, sinon négative, du fonctionnement de la justice de leur pays. L'institution judiciaire a par définition un rôle civilisationnel, dans la mesure où elle retire au particulier le pouvoir de se faire justice pour le confier à un tiers, le juge. L'institution judiciaire a donc l'obligation, en vertu même de ce pacte social, d'inspirer la confiance.

Les magistrats se doivent ainsi d'être compétents et de ne pouvoir être suspectés dans leurs prises de décisions, que ce soit de conflit d'intérêts ou de partialité. Nous aborderons très largement cette problématique car il s'agit d'une question tout à fait essentielle, tout comme il importe fondamentalement pour la démocratie que l'ensemble des institutions de la Nation et de ceux qui y participent respectent la fonction judiciaire, dans ses actes comme dans ses discours. Cette dernière a en effet pour mission de garantir que la loi, expression de la volonté générale, est elle-même respectée.

Or, les coups de boutoir contre l'indépendance de la justice sont relativement fréquents et viennent de tous les horizons.

Les élus eux-mêmes ne sont pas exempts de torts en la matière, lorsque, par exemple, maires ou députés envoient des lettres de recommandation en faveur de tel ou tel administré pour solliciter l'indulgence du juge. Ceux qui dénoncent, tantôt le laxisme, tantôt l'acharnement, voire l'inhumanité de la justice, sont une autre source de pressions pesant sur le pouvoir judiciaire. Ceux qui s'insurgent de ce que, au travers de la lutte contre la délinquance économique et financière on s'attaque à l'économie du pays, voire à la démocratie, sont un troisième exemple du même phénomène.

Même si la critique de l'œuvre de justice est possible, voire salutaire, elle ne doit pas, à mon sens, caricaturer ou discréditer le travail des magistrats qui agissent au nom de la loi avec leur conscience pour seul guide. Mais la justice doit s'efforcer, si ce n'est d'être aimée, du moins d'être comprise et, dans tous les cas, respectée. C'est pourquoi je n'hésite jamais à apporter mon soutien public aux magistrats, quand ils sont attaqués dans leur personne ou dans leur indépendance.

Quant à la garantie de l'indépendance de la justice, je forme le vœu que les travaux de votre commission permettent d'identifier certaines voies d'amélioration.

À cet égard, votre tâche est complexe, dans la mesure où il importe de préserver l'indépendance de l'autorité judiciaire sans pour autant la conduire sur la voie étriquée d'un isolement qui serait aussi celle d'un irrémédiable affaiblissement.

Au-delà des garanties juridiques qui peuvent ou qui doivent être apportées au soutien de cette indépendance, cette dernière dépend avant tout, et je le dis avec une certaine gravité, de la conscience intime et personnelle qu'ont les magistrats des obligations attachées à leur mission exigeante et difficile. Celle-ci, je tiens à le souligner, nécessite de la part de mes collègues, un engagement et un courage quotidiens.

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