Il y a l'indépendance vis-à-vis de l'extérieur et celle qu'intériorise le magistrat. Je mythifie peut-être le juge à l'anglosaxonne qui se sent très indépendant. Toutefois, il y a quelques années, j'ai eu un dossier dans lequel l'Autorité de la concurrence avait sollicité des perquisitions contre des entreprises qu'elle soupçonnait. On est venu me consulter, en tant que pénaliste, dans le cadre de la contestation de l'autorisation que le juge des libertés et de la détention (JLD) avait donnée. Ce JLD avait, en quelques heures, signé une ordonnance prérédigée de quarante-cinq pages qui laissait penser que l'examen pratiqué était assez sommaire, non pas parce qu'il n'avait pas travaillé, mais parce qu'il avait fait confiance, par principe, à l'Autorité de la concurrence. Il semblait s'être abstenu de faire preuve d'indépendance et de l'examen critique que cette indépendance sous-entendait. Les mesures qu'il avait ordonnées étaient exorbitantes et nous sommes allés en appel. La cour d'appel nous a écoutés poliment, et a entériné le dossier, sans se poser la question des droits fondamentaux qui avaient été violés. On sentait la difficulté de remettre en cause une autorité comme celle de l'Autorité de la concurrence et, plus généralement, celle de toutes les autorités indépendantes. Parfois le juge éprouve aussi des difficultés à remettre en cause la position du parquet.
De ce fait, on n'arrive pas à avoir cet imperium du juge à l'anglosaxonne qui sait dire « je vais simplement faire du droit et pas forcément ce que la puissance publique attend de moi ». À côté de l'indépendance extérieure bien encadrée par la loi de 2013 et par la circulaire de 2014, il y a donc la question de l'indépendance intériorisée du juge judiciaire.