En disant que je n'ai à rendre de comptes à personne, peut-être me suis-je mal exprimé. Je n'ai simplement pas de compte rendu hiérarchique à faire. Je ne rends pas compte de mes actes d'instruction à mon président. Mon président ne peut pas entrer dans mon cabinet d'instruction et aller fouiller dans mes dossiers. Les présidents sont parfois plus ou moins interventionnistes. Ils peuvent parfois s'inquiéter de tel ou tel dossier. Personnellement, ce ne fut jamais le cas. Toutefois, je rends compte à la cour d'appel et à la chambre d'instruction. Chacun de mes actes peut faire l'objet soit d'une requête en nullité, soit d'un appel. Les conseils ne s'en privent pas, ce dont je ne me plains pas, puisque je ne peux pas dire faire l'objet d'un harcèlement judiciaire contentieux de la part des conseils. Nous sommes extrêmement encadrés. Par ailleurs, mon cabinet est surveillé par la chambre d'instruction, en ce sens qu'elle vérifie les entrées et sorties et s'assure que les dossiers ne dorment pas. Enfin, les parties civiles sont attentives, au sein d'une procédure contradictoire.
La différence avec le parquet tient à la hiérarchie. Je demande parfois un avis à un parquetier sur un point précis, car le texte prévoit un avis ou une réquisition. Le parquetier répond qu'il va demander à son supérieur, ce que je ne fais jamais ! J'adresse des demandes systématiquement à mes co-saisis, mais jamais à un supérieur.
Quant aux relations du juge d'instruction avec le parquet, le premier a besoin du second car les avis, les réquisitions et les règlements définitifs du parquet sont nécessaires. Cependant, au cours de ma carrière dans le Nord, il m'est arrivé d'attendre longtemps un réquisitoire supplétif. Je m'explique : le juge d'instruction découvre des faits, pour lesquels il n'a d'abord pas été saisi, mais qui ont une portée économique, financière et politique. Le juge d'instruction demande au parquet de bien vouloir le saisir, car il découvre au cours d'une perquisition que telle personne entretient avec telle autre de tel office des relations qui ne sont pas normales. Parfois nous nous interrogeons : les réquisitions n'arrivent pas, le parquet doit être très occupé. Or, sans réquisition, le juge d'instruction ne peut informer. De ce point de vue, nous sommes dépendants du parquet. Notre dépendance vient du fait que, en général, nous ne pouvons pas nous autosaisir, à moins de nous constituer partie civile.
J'en viens maintenant à la désignation des juges d'instruction. En France, nous sommes désignés par le président du tribunal, magistrat du siège, avec une possibilité de délégation. Son choix est déterminé par des critères dont les principaux semblent être la charge de travail, la compétence technique, l'appétence et la bonne organisation du service.
Cependant, certains juges d'instruction s'interrogent quand ils ne sont pas désignés pour informer tel dossier. Dans ce cas, un choix, des critères n'ont pas été compris. Une explication peut donc avoir lieu : « Je ne vous ai pas choisi car vous avez déjà une charge de travail très importante, etc . » Nous espérons cependant qu'il n'y a pas d'autres raisons, car nous avons tous la même formation et répondons au même cahier des charges.
D'autres systèmes existent, dans d'autres États. En Espagne existe un tirage au sort. D'autres pays s'en tiennent au tableau de permanence. Quand le parquet ouvre l'information, on examine simplement ce tableau de permanence pour désigner le juge d'instruction. Cependant, dans ce cas, le parquet peut décider du moment opportun, en fonction du magistrat ou des enquêteurs de permanence. Le diable est toujours dans les détails. Les grandes questions institutionnelles sont résolues, car les juges d'instruction, en France, sont bien indépendants. Toutefois, la question pertinente est de savoir si nous choisissons la bonne personne pour les bonnes raisons. Personnellement, il ne m'est jamais arrivé d'être écarté d'un dossier. Cependant, nous pourrions parfaire ce système pour éviter de donner l'apparence d'un choix ou d'une désignation arbitraires.
Quant à la vulnérabilité des personnes, heureusement, le cas de Nice est tout à fait exceptionnel.