Intervention de Janine Drai

Réunion du jeudi 28 mai 2020 à 11h00
Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Janine Drai, présidente de la commission d'instruction :

J'ai présidé une cour d'assises pendant dix ans. C'est une expérience passionnante : les jurés découvrent la justice, il y a l'oralité des débats et on a du temps. Néanmoins, les procès devant les cours d'assises ont perdu leur spécificité à la suite de réformes auxquelles je suis, par ailleurs, favorable. Auparavant, il n'y avait pas d'appel possible parce qu'on considérait que le peuple ne pouvait pas se tromper et on ne motivait pas les décisions, ni quant à la culpabilité ni quant à la peine prononcée, parce qu'elles relevaient d'une intime conviction.

Je voudrais aussi rappeler qu'il y a des condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l'homme en raison de délais déraisonnables et que nous sommes parfois obligés de remettre en liberté des personnes parce que le délai entre la première instance et le jugement en appel est trop long. Cela peut conduire à des situations dramatiques pour des victimes qui voient libérée au bout d'un an une personne condamnée à dix ans de réclusion criminelle, parce qu'elle n'a pas encore été jugée en appel. Les délais vont complètement exploser à cause de la crise du coronavirus, mais ils étaient déjà excessifs auparavant. Quant aux personnes non détenues, leur dossier passe bien après les autres : on peut être jugé dix ans après les faits et six ans après la fin de la procédure.

Malgré tout l'intérêt que j'ai éprouvé pour les cours d'assises que j'ai présidées, je suis plutôt favorable à leur suppression et au passage aux cours criminelles – avec plus de temps que pour les affaires correctionnelles, plus de juges et une certaine oralité. On ne peut plus s'offrir le luxe de multiplier les cours d'assises : il n'y a pas assez de magistrats et de salles pour réunir des jurés.

Vous évoquez la possibilité de faire juger les ministres par le peuple : nous jugeons au nom du peuple français, après avoir passé un concours. Je ne vois pas pourquoi quelqu'un qui juge des terroristes, des médecins ayant commis des fautes dans l'exercice de leur profession, des escrocs de haut vol et des délinquants sexuels ne serait pas capable de juger des hommes politiques. Nous recevons une formation initiale, puis continue, et les grandes juridictions ont des chambres spécialisées. On peut faire venir des consultants, des témoins, des hommes politiques pour comprendre comment fonctionne un cabinet ou un ministère, mais juger est un métier : réservons-le aux juges. Je suis plutôt pour un retour au droit commun.

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