Intervention de Frédéric Veaux

Réunion du jeudi 4 juin 2020 à 9h30
Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale :

Si la reconnaissance par l'opinion de l'indépendance de la justice contribue grandement à la crédibilité accordée à notre action, le respect de ce principe constitutionnel dépasse par beaucoup d'aspects les compétences du directeur général de la police nationale. De lui relèvent plusieurs directions disposant d'une compétence de police judiciaire : la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), la direction centrale de la sécurité publique, la direction centrale de la police aux frontières, l'inspection générale de la police nationale et la direction centrale des compagnies républicaines de sécurité. Je n'exerce pas mon autorité directe sur les services d'enquête de la préfecture de police, non plus que sur la direction générale de la sécurité intérieure.

Pour la police nationale, la mission de police judiciaire et de concours à la justice du programme 176 regroupe 45 000 équivalents temps plein, soit 30 % des effectifs. Cette mission rassemble toutes les activités de police judiciaire entendue au sens large : la recherche et la constatation des infractions pénales, le rassemblement des preuves, la recherche des auteurs et de leurs complices, les arrestations et les défèrements aux autorités judiciaires. La police nationale consacre une part importante de ses moyens à ces missions, dans un contexte budgétaire que vous savez contraint depuis plusieurs années. Je dois donc veiller à la meilleure répartition possible des moyens entre les services traitant de la délinquance de masse et du quotidien et ceux qui traitent de la criminalité organisée, de la délinquance financière ou de l'immigration irrégulière. L'affectation de ces moyens n'est en aucun cas corrélée à d'autres considérations que l'évolution de la délinquance, les priorités opérationnelles fixées par le ministre de l'intérieur et les attentes exprimées par l'autorité judiciaire.

La police diligente les enquêtes qui lui sont confiées selon les instructions et les orientations déterminées par le magistrat qui, seul, décide ou valide les actes d'enquête nécessaires. En fonction de ces instructions, les services saisis déterminent et adaptent les moyens à mettre en œuvre dans un dialogue permanent avec les procureurs de la République et les magistrats instructeurs. Les chefs des services saisis de ces enquêtes fondent leur appréciation sur leur nature mais aussi sur l'évaluation de l'ensemble des dossiers constituant leur « portefeuille » et des priorités qu'il convient de définir. Bien entendu, le directeur général de la police nationale n'intervient jamais pour décider de la nature et du niveau des moyens dévolus à une enquête, quelle qu'elle soit. Je suis cependant amené à faire des choix en termes d'organisation des services et d'affectation des moyens – sachant que certains policiers et juges réclament toujours plus.

Qu'en est-il de la confidentialité des enquêtes et des pressions qui pourraient s'exercer sur les fonctionnaires de police ? Dans l'exercice de leur mission de police judiciaire, définie à l'article 14 du code de procédure pénale, les officiers et agents de police judiciaire sont placés sous la direction de l'autorité judiciaire et sont tenus au secret professionnel. Les textes prévoient cependant les modalités de la circulation de l'information entre les services, nécessaire soit pour effectuer des rapprochements entre les affaires, soit pour prévenir un trouble à l'ordre au public susceptible d'être créé par un acte d'enquête.

Les articles D. 3 et suivants du CPP organisent ainsi la circulation de l'information entre services de police et unités de gendarmerie et l'information spécifique des offices centraux de police judiciaire chargés de dresser l'état de la menace. Cette vision globale est indispensable pour permettre au ministère de l'intérieur de préparer et de mettre en œuvre la politique du Gouvernement en matière de sécurité intérieure. Loin d'être une anomalie, le partage de l'information au ministère de l'intérieur est nécessaire pour cerner les problèmes et définir des politiques publiques adaptées. L'information partagée ne concerne que les affaires réalisées ; elle ne porte ni sur les stratégies d'enquête ni sur les opérations à venir. Aucun acte d'enquête, aucun procès-verbal ne fait l'objet d'une communication à un quelconque échelon de la direction générale de la police nationale. L'information, faite par télégramme, sous la forme d'une note retraçant des éléments factuels, lorsque l'affaire trouble gravement l'ordre public ou connaît un retentissement médiatique important, se rapproche de celle donnée par des parquets généraux à la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG).

Mon expérience de trente années de police judiciaire me conduit à penser que les magistrats disposent aujourd'hui des moyens de leur indépendance. Je peux aussi témoigner que je n'ai jamais reçu aucune instruction pour étouffer ou ralentir une enquête. Certains continuent pourtant de proposer le rattachement de la DCPJ au ministère de la justice. Selon moi, ce n'est pas une bonne idée – à chacun son métier ! L'hypothèse a été étudiée par la commission Nadal en novembre 2013 et écartée pour quatre raisons. La première est l'impossibilité de dissocier les missions de police judiciaire et les missions de police administrative qui peuvent être exercées par les mêmes personnels. Ensuite, il serait inopportun de disperser les services centraux de la DCPJ intégrés dans le dispositif global, l'activité de police judiciaire étant complémentaire des missions de renseignement et de coopération internationale. La troisième raison est que l'exercice d'une autorité hiérarchique directe par le ministère public pourrait contredire l'objectif de contrôle de l'enquête : contrôle-t-on bien une force que l'on dirige ? Enfin, la gestion d'un nombre important d'OPJ par le parquet pourrait nuire à l'équilibre du corps judiciaire et remettre en cause son unité. Ces arguments me semblent toujours pertinents. En particulier, il me paraît difficilement concevable de détacher la mission de police judiciaire de la mission générale de police alors que le fonctionnement de la police est très intégré, pour la logistique, la gestion des ressources humaines et aussi les échanges de renseignements.

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