Depuis les attentats qui ont frappé notre territoire le 13 novembre 2015, la France vit sous une menace terroriste qui a justifié la prorogation de l'état d'urgence à cinq reprises, compte tenu de l'existence d'un péril imminent au sens de la loi du 3 avril 1955.
La dernière prorogation, qui date du 19 décembre 2016, était justifiée par la nécessité de pouvoir continuer à faire usage, en complément du cadre juridique de droit commun, de mesures exceptionnelles de nature à accroître l'efficacité de l'action administrative, en particulier dans un contexte électoral où les réunions publiques devaient se multiplier et pouvaient exposer les principaux responsables politiques de notre pays.
Cette prolongation s'est avérée aussi justifiée qu'utile, puisqu'un certain nombre d'attentats ont été déjoués pendant la période électorale. Nous devons témoigner de notre reconnaissance aux forces de sécurité, d'autant plus qu'elles ont été les principales cibles des attaques qui ont malheureusement continué à toucher notre pays.
Nous partageons les raisons qui amènent le Gouvernement à demander la prorogation de l'état d'urgence. D'abord, la menace terroriste ne faiblit pas, malgré le recul des groupes djihadistes sur la zone irako-syrienne. Ensuite, le moindre recours aux mesures prévues dans le cadre de l'état d'urgence ne pousse pas à conclure qu'il est inutile, bien au contraire. Il permet de compléter les mesures de droit de commun, qui ne seraient pas suffisantes pour faire face à la menace terroriste. Même s'il existe encore certaines insuffisances, il faut rappeler que pas moins de six textes ont été adoptés sur la période récente pour renforcer les prérogatives des pouvoirs publics en matière de prévention du terrorisme et de sécurité. Le premier de ces textes a été adopté le 21 décembre 2012 et le dernier le 28 février 2017, notamment afin d'adapter les cadres légaux d'usage des armes par les policiers et les gendarmes et de créer un cadre juridique complet pour l'intervention des agents privés de sécurité qui seraient armés.
Ces textes ont permis d'accroître de manière inédite les moyens d'action des pouvoirs publics, tant pour identifier la menace que pour la prévenir et réprimer les infractions qui en résultent. Nous considérons néanmoins qu'une sortie immédiate de l'état d'urgence serait prématurée : l'efficacité de l'action administrative pourrait se trouver du jour au lendemain entravée par la perte d'un cadre juridique ad hoc. Cela nous conduira à soutenir, au moins partiellement, la transposition dans le droit commun d'un certain nombre de dispositions de la loi du 3 avril 1955, dans le cadre d'un projet de loi que nous devrions bientôt examiner.
Les modifications successives de la loi de 1955 ont non seulement contribué à renforcer l'état d'urgence mais aussi à mieux l'encadrer avec la mise en place d'un contrôle parlementaire strict, l'encadrement des régimes des assignations à résidence et des perquisitions administratives, la création d'une procédure de référé-autorisation devant le juge administratif, l'institution d'une présomption d'urgence permettant aux assignés à résidence de saisir en toute circonstance, et à plusieurs reprises, le juge du référé-liberté, la limitation à un maximum de douze mois de la durée des assignations à résidence, la prise en compte des contraintes de la vie familiale et professionnelle, ainsi que l'obligation de privilégier les perquisitions administratives de jour, sauf nécessité opérationnelle.
Je souhaite interroger le rapporteur sur deux points.
Depuis 2016, la loi de 1955 prévoit en son article 4-1 la mise en oeuvre d'un contrôle parlementaire strict de toutes les mesures adoptées sous le régime de l'état d'urgence. Ainsi, « l'Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement pendant l'état d'urgence. Les autorités administratives leur transmettent sans délai copie de tous les actes qu'elles prennent en application de la présente loi. L'Assemblée nationale et le Sénat peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l'évaluation de ces mesures. »
La commission des Lois de notre Assemblée a mis en place un dispositif de suivi piloté par un binôme, associant la majorité et l'opposition, qui est investi de tous les moyens nécessaires à sa mission. En vertu de l'article 145 du règlement, un rapporteur d'application de la première loi de prorogation de l'état d'urgence, issu de l'opposition, a été désigné. Il s'agissait de M. Jean-Frédéric Poisson. C'est au rapporteur de cette loi et à celui de son application que fut ensuite confiée la mission d'animer cette mission permanente de suivi. Sur le fondement de l'article 5 ter de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, notre Commission a décidé de mobiliser, durant six mois, les pouvoirs d'enquête dont peuvent être dotées les commissions permanentes. En application d'autres articles du règlement, notre Commission a bénéficié de ces pouvoirs durant la période d'application de l'état d'urgence.
Les informations recueillies ont été régulièrement publiées, dans la transparence. Les archives de la commission des Lois témoignent, s'il en était besoin, de la densité du contrôle effectué. La dernière publication date du 15 juin dernier, entre les deux tours des élections législatives : ce contrôle parlementaire ne s'était pas interrompu. Nous souhaitons savoir quelle sera la doctrine de la commission des Lois sous la présente législature. Il nous semble impératif que soit désigné un rapporteur d'application, en vertu de l'article 145 du règlement, et que soit mise en place une mission de suivi de l'état d'urgence, sur le modèle de ce qui avait été institué sous la précédente législature, en associant tous les groupes politiques.
Ma seconde interrogation concerne la position du rapporteur sur les modifications apportées au projet de loi par le Sénat. J'ai compris que la précision relative à la date d'entrée en vigueur ne lui posait pas de difficulté. Le rapporteur a aussi évoqué l'amendement adopté pour tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-635 QPC, qui a censuré les dispositions relatives à l'interdiction de séjour prévues par la loi de 1955 modifiée. Elle permettait au préfet de prononcer une interdiction de séjour dans tout ou partie d'un département à l'encontre de toute personne « cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics ».
Le Conseil constitutionnel a estimé que cette disposition n'était pas encadrée par des garanties légales suffisantes pour que sa mise en oeuvre n'entraîne pas une violation des règles constitutionnelles. La commission des Lois du Sénat a restreint le champ d'application, qui concernerait désormais toute personne « à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ». Le régime juridique des mesures restrictives de l'article 5 de la loi de 1955 est par ailleurs modifié afin qu'elles ne puissent servir qu'une seule finalité : la prévention des troubles à l'ordre et à la sécurité publics. L'autorité administrative devra également tenir compte de la situation familiale et professionnelle de la personne visée, comme c'est le cas en matière d'assignation à résidence. Au-delà du constat et du commentaire qui nous été faits, le rapporteur et la majorité souhaitent-ils confirmer les modifications introduites par le Sénat ou au contraire apporter à leur tour des modifications ?
Le groupe Nouvelle Gauche, comme nous l'avons toujours fait lors des cinq premières prorogations de l'état d'urgence, votera ce projet de loi et partage l'objectif d'une sortie de l'état d'urgence, comme l'avait proposé M. Jean-Jacques Urvoas, alors garde des sceaux, le 16 mars dernier. Nous serons en revanche extrêmement attentifs aux dispositions du second projet de loi. Il doit permettre d'intégrer certaines dispositions propres à l'état d'urgence dans le droit commun, mais il faudra absolument veiller au respect des libertés publiques et des principes constitutionnels. La guerre que nous menons contre le terrorisme ne doit pas se traduire par ce qui serait sa plus grande victoire, c'est-à-dire un recul des libertés publiques et individuelles dans notre pays.