La direction des affaires civiles et du Sceau (DACS) est compétente par défaut dans les matières juridiques qui n'entrent pas dans la compétence d'une autre direction. Aussi a-t-elle compétence en matière civile, commerciale et constitutionnelle, raison pour laquelle elle porte généralement les réformes constitutionnelles. Cela ne fait pas de la DACS une direction experte dans chaque sujet dont traite la Constitution : certaines questions constitutionnelles touchent plus directement la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) pour la matière pénale, et d'autres la direction des services judiciaires. Ainsi, s'agissant du statut, de la déontologie et des conditions de nomination des magistrats, le directeur des services judiciaires vous apportera des éléments plus précis que les réflexions d'ordre constitutionnel que je puis faire.
Ni la Constitution ni le Conseil constitutionnel ne reconnaissent de pouvoir judiciaire. Pour autant, l'idée fréquemment exprimée que la référence à « l'autorité judiciaire » dans la Constitution traduirait la volonté d'abaisser la justice face aux autres pouvoirs que la Constitution aurait reconnus est fausse pour deux raisons. La première est que si la Constitution de la Vème République ne reconnaît pas le pouvoir judiciaire, elle ne reconnaît pas davantage de pouvoir législatif ou de pouvoir exécutif. Les seuls pouvoirs qu'elle évoque sont le pouvoir réglementaire et le pouvoir de nomination – deux attributs du pouvoir exécutif, mais qui ne sont pas désignés comme tels dans la Constitution du 4 octobre 1958. D'autre part, si la Constitution comprend un titre VIII consacré à « l'autorité judiciaire » et non à la justice, les travaux préparatoires démontrent que le projet de révision constitutionnelle comportait un titre VIII intitulé De la justice, qui comportait les articles 64 à 66 sur l'autorité judiciaire. C'est parce que l'autorité judiciaire ne recouvre pas, en France, tout le champ de la justice – notamment parce que la justice administrative n'entre pas dans le champ de l'autorité judiciaire – que le titre VIII a été renommé pour désigner précisément ce dont il est traité aux articles 64 à 66 de la Constitution, c'est-à-dire de l'autorité judiciaire. La justice administrative n'a été consacrée que lors de la révision constitutionnelle de juillet 2008 désignant le Conseil d'État comme juridiction suprême d'ordre administratif ; jusqu'alors, il ne figurait dans la Constitution que dans ses attributions administratives, au sujet de l'examen des projets de loi, à l'article 39.
Dans le questionnaire que vous m'avez adressé, monsieur le rapporteur, vous m'avez interrogé sur plusieurs points relatifs aux garanties constitutionnelles de l'indépendance de l'autorité judiciaire et des magistrats, en particulier sur la formulation de l'article 64 de la Constitution, selon laquelle « le président de la République est le garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire » et qu'il est « assisté par le Conseil supérieur de la magistrature ». Cette expression parfois critiquée date de l'origine de la Constitution mais elle a changé de sens avec la révision constitutionnelle de juillet 2008. La Constitution confie au président de la République une double mission : il est le garant du respect de la Constitution et il participe du pouvoir exécutif puisqu'il partage avec le Premier ministre l'exercice du pouvoir réglementaire et le pouvoir de nomination. La formule selon laquelle le président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire se rattache sans contestation possible à la première de ses compétences. Qu'il soit pour cela assisté par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) avait, avant 2008, une portée plus ambiguë, puisque le président de la République présidait le CSM, autorité de nomination des magistrats. Cette ambiguïté a conduit à réformer le Conseil supérieur qui, depuis la révision constitutionnelle de l'été 2008, n'est plus présidé par le président de la République. L'indépendance du CSM à l'égard du président de la République étant désormais constitutionnellement garantie, la formulation « Il est assisté par le CSM » ne me semble plus sujette à la critique.
Le Parlement est saisi d'un projet de loi constitutionnelle qui prévoit de modifier les attributions du CSM pour soumettre les nominations des magistrats du parquet à son avis conforme et pour lui confier le rôle de juridiction disciplinaire à l'égard des magistrats du parquet comme à l'égard des magistrats du siège. Cela renforcerait assurément l'indépendance de l'autorité judiciaire – même si, s'agissant des nominations, aucun garde des Sceaux n'est plus passé outre un avis du CSM depuis plus de dix ans. Le projet de réforme constitutionnelle consacrerait donc la pratique dans le droit et éviterait que l'on revienne à des pratiques anciennes sans doute critiquables en termes d'indépendance la magistrature.
La révision constitutionnelle de 2008 a aussi modifié la composition du CSM en mettant fin à la majorité des magistrats. On est ainsi parvenu à un équilibre entre la représentation des magistrats au sein du Conseil et l'ouverture à des personnalités extérieures nommées par des autorités différentes afin de renforcer l'indépendance du CSM tant à l'égard de la magistrature qu'à l'égard des autorités de nomination.
Vous m'avez aussi interrogé sur l'influence de la mobilité interne et externe des magistrats sur l'indépendance de la justice. D'un point de vue juridique, la question a été tranchée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 21 février 1992 ; il a jugé que ni la disposition organique prévoyant que les magistrats ont vocation à passer du siège au parquet, ni les dispositions de l'ordonnance du 22 décembre 1958 relative au détachement des magistrats ne portent atteinte à l'indépendance de l'ensemble des magistrats non plus qu'à l'inamovibilité des magistrats du siège. Pour ma part, je revêts ma casquette d'ancien magistrat en détachement et de fondateur de l'Association des magistrats détachés, mis à disposition et en disponibilité pour vous dire que la possibilité de diversité et de mobilité est une source d'enrichissement pour les magistrats et la magistrature, et qu'elle répond aussi à un besoin des autres administrations. Étant donné la place qu'occupent désormais le droit pénal et le droit privé dans certains champs de l'action publique, beaucoup d'administrations doivent avoir en leur sein des experts du droit judiciaire privé ou pénal ; les magistrats apportent cette compétence dans la haute fonction publique. Il y a donc un enrichissement réciproque dans ces échanges. À titre personnel, je ne pense pas qu'il en résulte une atteinte à l'indépendance des magistrats.
J'en viens à vos questions portant sur la DACS et à son rôle à l'égard du ministère public. Je signale un point souvent ignoré : l'article 30 du code de procédure pénale qui interdit les instructions individuelles du garde des Sceaux aux magistrats du parquet n'est applicable qu'en matière pénale. En matière civile s'applique l'article 5 de l'ordonnance organique du 22 décembre 1958, à savoir le principe de hiérarchie du garde des Sceaux sur les parquets généraux, qui ont eux-mêmes autorité hiérarchique sur les parquets. C'est ce que dit le droit mais la réalité, pour l'action publique en matière civile, est un peu différente, et différenciée. Les matières sont en effet traitées différemment selon les champs d'intervention et les conditions dans lesquelles cette autorité s'exerce – autorité qui est en réalité une collaboration avec les parquets.
Ainsi, il faut traiter à part le contentieux judiciaire de la nationalité, qui fait l'objet de dispositions procédurales particulières et pour lequel les poursuites aux fins de demander l'annulation de certificats de nationalité française sont rédigées par mes services. De même, la décision de poursuivre l'annulation de ces certificats est prise par mon administration, qui envoie les projets d'assignation aux parquets, lesquels les signifient aux défendeurs. La politique en matière de contentieux de la nationalité est donc centralisée par mon bureau de la nationalité, y compris la rédaction juridique des mémoires en défense ou des assignations. Cela ne signifie pas que les parquets n'ont pas de possibilité d'action en matière de nationalité, mais je défends la centralisation de ce contentieux par la nécessaire cohérence de la politique publique en matière de nationalité sur l'ensemble du territoire et par la non moins nécessaire cohérence entre la politique publique en matière de nationalité selon qu'elle relève de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire ou d'un traitement administratif. Il existe en effet différentes voies d'acquisition de la nationalité et, selon qu'elle s'acquiert par la filiation ou par le mariage, les conditions de reconnaissance et de déclaration se font par voie judiciaire ou par voie administrative, le contentieux relevant tantôt du juge judiciaire avec le parquet qui poursuit, tantôt de la voie administrative.
Dans les autres domaines du parquet civil, c'est-à-dire principalement le droit des personnes et de la famille, l'état civil, le droit des procédures collectives et la discipline des professions du droit, l'intervention de la DACS est double. Elle s'exerce par des circulaires générales visant à présenter et à expliquer les dispositions et les règles de droit, et par des orientations d'action publique pour les parquets. Je donnerai pour exemple la reconnaissance de l'état-civil des enfants nés de gestation pour autrui à l'étranger : mes prédécesseurs ont été amenés à diffuser des circulaires d'action publique afin que l'état de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme soit connu et appliqué uniformément sur le territoire français. Á travers les parquets, c'est aussi l'action des officiers de l'état civil qui est concernée, puisqu'ils sont des agents de l'État œuvrant sous le contrôle du procureur de la République. Les instructions adressées aux officiers de l'état civil émanent donc de ma direction ou de la ministre, selon l'importance des décisions prises. Par exemple, les instructions données pendant la période de confinement aux officiers d'état civil s'agissant des permanences qui devait être ouvertes, des actes qui devaient continuer d'être faits et de ceux qui, comme les mariages, devaient être reportés portent ma signature. Elles ont été adressées aux procureurs généraux, qui les ont diffusées aux officiers d'état civil conformément à la chaîne hiérarchique.
La DACS est aussi l'interlocuteur des parquets généraux dans certaines affaires individuelles, mais la relation hiérarchique ne se fait plus, depuis longtemps, sur le mode « Garde-à-vous, rompez ! ». Il s'agit désormais de soutien, d'expertise, d'échanges avec les parquets généraux au sujet d'affaires aux enjeux importants, pour lesquelles les parquets généraux doivent connaître l'analyse, juridique ou de politique publique, du ministère de la justice, et qui donnent lieu à la transmission d'informations. J'en donnerai pour exemple le récent sauvetage de France-Antilles. La procédure collective pendante devant le tribunal de commerce a soulevé des questions juridiques complexes et ma direction a apporté au ministère public l'expertise permettant au tribunal de commerce de prendre les décisions qui ont permis de sauver cet organe de presse. Que la chancellerie puisse suivre attentivement des affaires individuelles ne me paraît pas porter atteinte à l'indépendance de l'autorité judiciaire puisqu'on est face à des juges indépendants ; ils entendent la position du ministère de la justice, qui est communiquée et débattue contradictoirement comme le serait la position de n'importe quel autre observateur, mais avec la place que peut occuper le ministère dans certains dossiers, et statuent souverainement, et si les parties sont en désaccord avec la décision, les voies de recours demeurent ouvertes.
Le ministère de la justice peut se faire entendre auprès des juridictions commerciales mais aussi, parfois, auprès des juridictions civiles de droit commun, et cela peut être utile pour nourrir le débat. Ainsi, il n'est pas exceptionnel que, pour des affaires particulièrement sensibles, le procureur général de la Cour de cassation, qui jouit d'une indépendance complète, demande à la DACS son analyse juridique. Il la verse parfois à la procédure et les parties peuvent en débattre de manière transparente et contradictoire.
La DACS, parce qu'elle a une expertise sur certains textes qu'elle a rédigés, dont elle a suivi le cours au Parlement et les éventuelles difficultés d'application, peut être un interlocuteur utile pour les juridictions, en apportant, par l'entremise des parquets généraux, une analyse juridique sur l'interprétation des textes. Ce travail auprès des parquets généraux ne revêt pas tant aujourd'hui un caractère hiérarchique qu'un caractère de soutien.
Enfin, la DACS travaille avec les parquets généraux à l'animation du réseau des avocats généraux chargés de la discipline des officiers publics et ministériels, qui sont placés sous mon autorité directe. Nous leur apportons le soutien et l'expertise dont ils ont besoin lorsqu'ils sont confrontés à des questions complexes.
J'ajoute en conclusion que les parquets généraux et les parquets en matière civile sont inégalement armés sur le territoire national. Le parquet civil représente une part réduite de l'activité des parquets. Dans de grandes juridictions, on peut y affecter des magistrats à plein temps, qui sont spécialisés. Á Paris, un service civil regroupe plusieurs magistrats aux spécialités diverses – état civil, tutelle, adoption, droit commercial – mais il n'en va pas de même partout. Dans les parquets de petite taille, l'activité civile peut représenter un mi-temps ou un quart de temps pour un magistrat du parquet ; s'il se trouve confronté à une affaire exceptionnellement complexe, il sera heureux que nous puissions lui apporter une expertise juridique et du soutien et nous serons à sa disposition. C'est dans cet esprit que la DACS travaille avec les procureurs généraux.