Intervention de Jean-François de Montgolfier

Réunion du jeudi 11 juin 2020 à 15h30
Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Jean-François de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du Sceau :

Je n'ai pas fait le décompte des circulaires que j'ai adressées. Le Premier ministre, qui partage votre préoccupation, a demandé par une circulaire du 5 juin 2019 que l'on s'en tienne désormais aux véritables circulaires d'action publique sans plus envoyer de circulaires commentant ou interprétant les normes. Comme les autres administrations, la DACS a mis cette instruction en œuvre. Désormais, notre travail d'explication prend d'autres formes ; notre site intranet, auquel tous les magistrats ont accès, comporte des jeux de fiches et un ensemble de documents qui, rassemblés, auraient pu donner lieu à une circulaire. Le numérique nous offre une facilité d'accès à l'information et une conservation plus longue, ce qui nous permet de travailler différemment. Nous continuons à mettre systématiquement ces outils à disposition lorsqu'une réforme entre en vigueur, car si les magistrats, dans les juridictions, n'ont pas beaucoup de temps pour lire les circulaires, ils n'en ont guère plus pour lire la loi et son décret d'application et travailler à leur articulation. La circulaire, en leur donnant « le produit fini », notamment l'articulation des différents textes, simplifie leur travail

Nous publions beaucoup moins de circulaires à mesure que s'étoffent notre site intranet et notre site public internet. Nous avons ainsi créé sur le site internet du ministère un espace destiné aux professionnels du droit, consacré aux conséquences juridiques du confinement, avec une rubrique de questions et réponses relatives aux difficultés d'interprétation des ordonnances. Le besoin de soutien juridique, même s'il ne prend plus la forme de la circulaire, est toujours aussi nécessaire et constitue une grande partie de notre travail.

Je n'ai non plus de chiffres relatifs aux passages entre siège et parquet mais je vous les ferai transmettre. Je pense qu'ils ne sont pas très élevés, et qu'ils tendent à décroître à mesure que l'on avance dans la carrière : après quelques années, une certaine spécialisation s'instaure, qu'à titre personnel je pense bienvenue parce que la justice demande des compétences expertes et que la culture professionnelle n'est pas complétement la même au parquet et au siège.

La période de confinement a montré la grande qualité de la juridiction consulaire. Les tribunaux de commerce sont restés ouverts et ils ont traité des procédures collectives dès que nous avons pu prendre les ordonnances adaptant les règles de procédure collective. La mobilisation a été très forte pour répondre aux inquiétudes des entreprises en difficulté et pour traiter de ces difficultés. Le choix français d'une justice commerciale par des pairs élus est critiqué – la critique porte en particulier sur le risque de partialité – mais elle a aussi des vertus. Nous travaillons à la transposition d'une directive relative aux cadres de restructuration préventive et à l'insolvabilité. Dans le cadre du traité d'Aix-la-Chapelle, la France et l'Allemagne ont pris des engagements de rapprochement ; je me suis rendu à Berlin, mon homologue est venu à Paris, et nous avons travaillé ensemble pour voir comment nous inspirer de nos règles respectives. Il est apparu qu'une des différences entre nos deux systèmes est que la France accorde au cadre préventif une très grande importance, parce que les juges des tribunaux de commerce sont des commerçants et des hommes d'affaires pour qui la sauvegarde de l'entreprise est une valeur en soi. C'est pourquoi les entrepreneurs craignent peut-être moins qu'ailleurs de venir au tribunal faire état de leurs difficultés, dans l'espoir d'être aidé à s'en extraire. Dans d'autres pays, dont l'Allemagne, les procédures collectives sont des procédures d'exécution ; on ne se préoccupe pas de la préservation de l'emploi et du rebond de l'entrepreneur. Pour cela, il existe des mécanismes préventifs, pour certains efficaces, mais ils sont extra-judiciaires et sont actionnés avant la saisine de la juridiction, puisque l'on va au tribunal seulement pour payer les créanciers et faire aboutir une procédure collective. C'est pour une force pour la France d'avoir une justice commerciale exercée par des professionnels du monde des affaires. Les juristes anglo-saxons craignent souvent d'avoir face à eux des juges professionnels qui ne connaîtraient pas le monde des affaires ; quand on leur explique que les juges connaissent parfaitement ces préoccupations, ils découvrent la force de la justice commerciale française. Elle a par ailleurs des faiblesses que vous avez évoquées et des progrès sont encore nécessaires pour les corriger mais je ne crois pas que la justice commerciale française soit condamnable du fait de la composition des tribunaux. Alors que nous nous attendons à une augmentation importante de saisines des tribunaux de commerce, ce peut être un atout pour l'économie de notre pays que les juges consulaires se préoccupent de la sauvegarde de l'entreprise, du rebond de l'entrepreneur et du sauvetage de l'emploi.

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