Intervention de Chantal Arens

Réunion du jeudi 11 juin 2020 à 17h00
Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Chantal Arens, première présidente de la Cour de cassation :

Au-delà de la question des mouvements annuels des magistrats, se pose celle du nombre des juridictions, bien plus nombreuses en France que dans les autres pays avec 164 tribunaux judiciaires et 37 cours d'appel. Cela renvoie aussi à la question de l'administration de la justice. Je considère qu'il faut des lieux de justice, et je suis très attentive à la justice de proximité. Pour autant, ces lieux de justice doivent-ils tous rester des structures de gestion ?

Par ailleurs, la mobilité est très forte au début de la carrière. J'ai participé à un groupe de travail constitué par la Chancellerie, au sujet des juridictions en situation de fragilité. En France, plusieurs juridictions ne sont pas attractives. Les projets de mouvements du CSM montrent qu'il existe une vingtaine de candidats dans le sud de la France, contre un seul à Auxerre et aucun dans certaines juridictions. Cela pose problème.

Je l'ai dit, la mobilité est forte au début de la carrière, qui devient ensuite régionale. S'y ajoute le fait que, ces dernières années, il a manqué 500 postes, en raison de choix politiques de ne plus recruter des magistrats, mais des fonctionnaires. Ces 500 postes non pourvus étaient des postes non attractifs. S'y ajoute le défaut d'attractivité du Parquet, qui devient très important, même si je ne suis pas la mieux placée pour en parler. En somme, en sortie d'école, de nombreux postes sont proposés au parquet et dans des juridictions pas attractives. De nombreux futurs magistrats se positionnent alors à proximité de la cour d'appel qu'ils espèrent rejoindre, avant de faire ces carrières très régionales. C'est ce que j'ai découvert au CSM. Le Nord, l'Est, la Normandie et le Centre sont des régions peu attractives. Au-delà de la forte mobilité en début de carrière, il existe un problème d'organisation territoriale des juridictions.

Pendant ce mandat, le CSM a calculé que la mobilité moyenne intervient après 2,1 ans. Après échanges avec la direction des services judiciaires, nous avons proposé qu'à compter du 1er janvier 2021, il faille rester trois ans au moins dans un poste. Sinon, les magistrats sortant de l'école sont à peine arrivés qu'ils partent déjà, ce qui crée une instabilité. Au tribunal de Bobigny ou à celui de Paris, par exemple, le renouvellement est de 20 à 30 % tous les ans. Cela crée une instabilité, suivie d'une très forte stabilité. En outre, cette forte mobilité cache des situations extrêmement différentes.

Pour améliorer la situation, il faut déjà intervenir en amont au sujet du principe même de mobilité : non pas la supprimer, mais voir les causes des difficultés. C'est très délicat, parce que cela renvoie à l'organisation des juridictions. En tout état de cause, dans la mesure où 500 postes ont été pourvus au cours des cinq dernières années grâce à différentes lois de programmation, il y aura beaucoup moins de mobilité à l'avenir. Mais cela reste un véritable problème.

Une autre question est celle du défaut d'attractivité des fonctions de chef de juridiction – procureur, président et premier président. Cette question, plus générale, renvoie à l'administration. On ne peut qu'encourager les magistrats à exercer ces fonctions. Je considère, en effet, que pour bien administrer une juridiction il faut être magistrat. Au nom de l'indépendance juridictionnelle, on est un bon gestionnaire quand on connaît bien le mode de fonctionnement des juridictions. Ce défaut d'attractivité des fonctions de chef de juridiction n'est d'ailleurs pas spécifique à la magistrature. À l'occasion de la mission Thiriez, il est ressorti que c'est un problème général de l'État, en même temps qu'un fait générationnel.

Se pose également la question de la taille des juridictions. Elles sont trop nombreuses à avoir une petite taille. Le tribunal de Saint-Gaudens, par exemple, compte six magistrats au siège, deux magistrats au parquet et moins de quinze fonctionnaires. C'est peu au regard de celui de Paris, qui compte 1 800 magistrats et fonctionnaires – ce qui est peut-être trop important. Je pense qu'il existe une juste mesure entre les deux. J'aborde ce sujet parce que dans nombre de juridictions, il n'est pas possible d'exercer des fonctions dites de hiérarchie intermédiaire – chef de service ou responsable d'un pôle. Comme de nombreuses juridictions n'ont pas la taille efficiente, il est difficile pour les magistrats de se projeter dans des fonctions de chef de juridiction.

Tout se tient, en fait. Cela pose des questions politiques qui ne relèvent pas de l'institution judiciaire, de la carte judiciaire, donc de l'administration des juridictions. À l'endroit où je me trouve et pour avoir observé durant dix-huit ans ce qui se passe dans la magistrature, je vois des évolutions très fortes qui pourront poser problème dans les années à venir.

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