Intervention de Chantal Arens

Réunion du jeudi 11 juin 2020 à 17h00
Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Chantal Arens, première présidente de la Cour de cassation :

Ma position est connue depuis 2015, et pourtant rien n'a évolué. C'est même l'inverse qui s'est produit. Je le répète, je lie indépendance juridictionnelle et indépendance fonctionnelle. En effet, pour rendre sereinement des décisions, il faut avoir les moyens correspondants – cela renvoie à la question précédente, sur la présence d'un greffier. Un magistrat le perçoit très aisément : pour administrer la justice, il faut avoir la liberté d'obtenir des moyens et de les affecter dans de bonnes conditions.

Au sein du ministère de la justice, l'administration pénitentiaire pèse bien davantage que les services judiciaires au plan budgétaire. Les chefs de cour et de juridiction ont très peu de marge de manœuvre. Il est vrai qu'il y a actuellement moins de régulation budgétaire que par le passé, mais j'ai connu des périodes où elle était assez importante.

Par ailleurs, le fait que nombre de réformes ne donnent lieu à aucune étude d'impact nous pose problème. Or c'est ce que l'on observe de longue date. Certes, une amélioration est à noter au cours des dernières années, en matière budgétaire. Mais il y a encore quelques années, la justice représentait moins de 1 % du budget national.

Qui de la Cour de cassation, du ministère ou du CSM pourrait intervenir ? Je renvoie, là encore, à la question territoriale. Conserver un système avec un budget opérationnel de programme, BOP, et des unités opérationnelles, UO, pose problème. Pour le moins, il faudrait avoir quinze BOP. Même si tout le monde est théoriquement sur un pied d'égalité, que ce soit au niveau d'un BOP ou d'une UO, ce n'est pas tout à fait vrai dans les faits budgétaires. Ainsi, le statu quo ne me semble pas une bonne idée. Par ailleurs, nous n'avons pas les moyens du rattachement de la justice judiciaire à la Cour de cassation. Je pense que l'institution d'un Conseil de justice serait une bonne idée, mais que la France n'est pas prête. En tout cas, cela supposerait de revoir entièrement le fonctionnement des services judiciaires et du CSM.

Je dis que nous avons abouti à l'inverse dans la mesure où, en 2015, la direction des services judiciaires occupait une place importante, en matière budgétaire, au sein du ministère de la justice. Depuis, le secrétariat général a pris beaucoup de place, conformément à une décision politique et, dans les faits, la direction des services judiciaires a délégué quelques compétences. De mon point de vue, à moyens constants, il serait déjà bien qu'une mission Services judiciaires soit rattachée à la Chancellerie et pilotée par la direction des services judiciaires. L'informatique relève du secrétariat général. Tout ce qui concerne la matière sociale, par exemple la gestion des corps communs de fonctionnaires, relève également du secrétariat général. La direction des services judiciaires s'occupe de ce qui est en dehors des corps communs. Un partage s'est progressivement opéré. En matière immobilière, les dossiers relèvent des cours d'appel jusqu'à 60 000 euros et au-delà, ils relèvent de la direction des services judiciaires par délégation, puis c'est l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ), qui est compétente. Cela fonctionne bien quand tout se passe en bonne harmonie, mais il est important qu'il y ait une vision commune de ces différentes compétences.

Depuis que je préside la formation « siège » du CSM, j'ai invité le directeur des services judiciaires à nous parler des moyens du ministère de la justice. En effet, il est très difficile de procéder à des nominations de présidents ou de premiers présidents sans connaître les moyens affectés aux juridictions. Il faudrait même que le CSM puisse donner son avis sur le budget, parce que nous sommes un point d'observation de l'institution judiciaire. Lorsque nous nous déplaçons dans les juridictions, nous observons ce qu'il se passe. À cet égard, il serait intéressant que le CSM puisse intervenir.

En tout état de cause, je rattache ce sujet à la réforme de la carte judiciaire. Il ne s'agit pas de supprimer des lieux de justice de proximité, mais d'avoir moins de structures et qu'elles soient plus compactes. Je pense que nous y gagnerions en efficacité. Nous sommes d'ailleurs la dernière administration à le faire – pour des raisons politiques. La Justice est l'une des dernières institutions présentes dans beaucoup de lieux, ce qui rend compliqué le débat sur la carte judiciaire devant le Parlement.

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