Il y a quarante ans, la question de l'indépendance ne se posait pas de la même façon. Rappelons-nous quand même qu'un hélicoptère était allé chercher un magistrat dans l'Himalaya. Ce serait un peu compliqué, aujourd'hui ! J'observe une grande différence depuis ces dernières années, grâce au rôle fondamental de la presse. Nous sommes sous son regard et, de mon point de vue, tout finit par se savoir. Pour moi, une très grande évolution dans la justice s'est produite avec la presse et, plus encore, les réseaux sociaux. Avant, ce monde était très fermé, avec beaucoup de codes et une sorte de reproduction sociale. Des évolutions fortes ont vu le jour dans la magistrature, puisque désormais la moitié des magistrats ont auparavant eu d'exercé d'autres métiers. Ce n'était pas ce qui apparaissait dans les conclusions de la mission Thiriez, dans laquelle nous ne nous reconnaissons pas totalement – c'est un euphémisme.
Depuis quelques années, on peut intervenir lorsque des commentaires sont exprimés quant à des décisions de justice ou la façon dont un dossier d'instruction se déroule. C'est ainsi qu'en 2014, alors que j'étais présidente du tribunal de Paris, j'étais intervenue par un communiqué – j'ai peut-être été la première à le faire. J'avais alors eu la surprise de me voir aux informations télévisées et d'entendre que « la justice défendait l'indépendance de la justice ». Depuis, il y a eu un certain nombre de réactions de chefs de juridiction et de premiers présidents. C'est une culture. En tout cas, je pense que les chefs de la Cour de cassation et du CSM s'inscrivent dans cette démarche de représentation et de défense de l'institution lorsqu'elle est mise en cause. Outre le statut, c'est avec une éthique personnelle que nous défendons l'institution judiciaire.
Pour répondre indirectement à votre question sur l'indépendance, ce qui me marque dans l'institution judiciaire, depuis 30 ans, c'est le nombre impressionnant d'affaires que nous avons à juger. C'est en ce sens que je reviens à la question indépendance/impartialité. Le citoyen nourrit une réelle défiance à l'égard de la justice et en même temps, il n'y a jamais fait autant appel. Et même si ces dossiers sont humainement très intéressants, ils sont parfois répétitifs. Nous parviendrons à résoudre toutes ces questions soit en ayant plus de juges, soit en limitant le périmètre d'intervention du magistrat. C'est ce qu'ont tenté de faire les trois gardes des sceaux successifs, mais c'est très compliqué.
Pour vous répondre plus directement, je pense qu'il est indispensable de modifier le statut du parquet – nous sommes plus dans l'impartialité objective que dans l'impartialité subjective. Les citoyens et la presse, de même que le CSM, constituent des garde-fous.