Intervention de Laurence Pécaut-Rivolier

Réunion du jeudi 18 juin 2020 à 9h30
Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Laurence Pécaut-Rivolier, conseillère à la chambre sociale de la Cour de cassation :

Je vais répondre de ma place de modeste conseiller à la chambre sociale.

Il n'est pas toujours facile d'être conseiller à la chambre sociale, tout d'abord parce que nous traitons d'affaires complexes humainement et juridiquement – mais nous ne sommes pas les seuls –, ensuite parce qu'il s'agit d'un contentieux qui, lorsque l'on donne une réponse à une question, suscite plus que d'autres des restitutions manichéennes. Selon la décision que nous avons prise, nous sommes considérés comme des juges pro-employeurs ou des juges pro-salariés. C'est très fréquent. Nous nous en accommodons parce que c'est inhérent à la matière sociale. Cela reste supportable tant que cela s'adresse collectivement aux juges du droit social.

À partir du moment où certains juges sont identifiés, nominativement mis en cause dans certains médias ou réseaux sociaux, cela devient bien plus complexe à gérer. Cela suppose un travail très important sur chacun des dossiers dont nous sommes saisis en tant que rapporteur pour sortir de ce réflexe qui consisterait à se poser la question de savoir si ce que nous allons indiquer dans notre rapport en application des règles de droit sera perçu comme nous le posons dans une situation ou dans une autre. Cela requiert un travail complémentaire, assez difficile à effectuer, alors même, comme cela a été dit, que nous sommes à l'évidence tenus par l'application des règles juridiques, par les lois en vigueur et, plus encore, ou en continuité, par une jurisprudence, que certains considèrent comme étant trop foisonnante mais qui, en réalité, creuse des sillons très profonds que nous sommes dans l'obligation d'emprunter, sauf à expliquer, et ce devant nos collègues, ce qui justifierait éventuellement d'en sortir.

C'est donc une situation qui peut être très difficile. Elle l'a été récemment pour nous. La question s'est posée en ce qui me concerne de savoir s'il était possible de rester dans cette matière du droit social une fois que l'on avait été identifié et mis en avant dans certains médias.

L'idée de partir vers un autre contentieux, probablement tout aussi intéressant mais peut-être moins sensible, a été écartée. Cela aurait été cédé à une pression. Dès lors, on peut être amené à choisir un juge ou à l'empêcher de poursuivre son activité parce que, pour une raison ou une autre, il paraît dérangeant. On peut, pourquoi pas, empêcher la nomination d'un président de chambre, pourtant reconnu à l'unanimité comme compétent et légitime à occuper ce poste, par des campagnes qui arrivent à point nommé. C'est tout à fait gênant en termes d'impartialité de la justice et pour les collègues qui restent.

Autre élément à prendre en compte, en allant au bout de ce raisonnement, on peut être amené à ce qu'à la chambre sociale, qui a déjà beaucoup de mal, pour des raisons techniques sur lesquelles nous pourrons revenir si vous le souhaitez, à recruter des juges spécialisés en droit du travail, ne soit plus composée de juges spécialistes de cette matière parce que ceux-ci auront été repérés pour avoir déjà rendu un certain nombre de décisions et été rapporteur dans un certain nombre d'affaires, voire, pire encore, pour être intervenus dans des colloques, des manifestations scientifiques ou pour avoir écrit des articles.

Pour conclure, je pense que la seule vraie garantie pour l'indépendance et l'impartialité de la justice tient à la collégialité. C'est ce qui prémunit et assure, sur toute décision, un débat dans lequel chacun d'entre nous est amené à développer son raisonnement juridique, à l'expliciter, donc, à montrer son objectivité. Cette collégialité est absolument fondamentale. C'est la raison pour laquelle il est bien regrettable que, devant les juridictions du fond, cette collégialité tende de plus en plus à s'effacer pour les raisons que nous savons. Il est crucial qu'elle soit totalement préservée à la Cour de cassation pour permettre d'assurer cette garantie de débat et de partage entre les juges sur la manière de raisonner et d'aboutir à une solution.

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