Le juge doit agir en son âme et conscience. La distance, le recul sont au cœur de son métier : ils s'imposent vis-à-vis des avocats, des personnes poursuivies, du parquet, des enquêteurs – dont il doit être capable de remettre en cause les conclusions, même s'il les a désignés – et il en est de même vis-à-vis des médias.
S'agissant du secret de l'instruction, combien d'extraits de procès-verbaux ai-je retrouvé dans la presse ! Croyez-vous que cela me faisait plaisir ? Non ! J'espérais simplement que le décalage serait le plus long possible entre l'audition et la publication : deux jours après, le travail de l'instruction était discrédité, un mois après, le soulagement était grand.
Comme vous le savez, une enquête se déroule en deux temps : tout d'abord, l'enquête, à proprement parler, où le secret doit être préservé – des perquisitions sont programmées ou, dans les dossiers les plus lourds, des écoutes téléphoniques – car si des éléments « sortent », autant arrêter tout de suite ; ensuite, la phase judiciaire, où la personne poursuivie est soit mise en examen, soit placée sous le statut de témoin assisté. À ce stade, aucun contrôle n'est possible, surtout à l'heure de l'informatique. Ma greffière donnait des CD-ROM aux avocats, au parquet, les policiers connaissaient l'affaire. Combien de personnes m'ont dit, dans mon cabinet : « Monsieur le juge, regardez, le procès-verbal d'il y a quatre jours est sorti ! ». Que voulez-vous que j'y fasse ? Je ne suis pas propriétaire du dossier.
Avant que le principe du contradictoire ne soit introduit, en 1897, le juge était le seul à avoir le dossier mais ce n'est plus du tout le cas. De plus, croyez-vous que les journalistes cessent de parler des affaires qui intéressent les médias et les citoyens dès qu'une enquête est ouverte ? Elle durera cinq ans et nul ne l'évoquera ? Dans des dictatures seulement. La liberté de la presse et de l'information est une réalité.