Intervention de Catherine Champrenault

Réunion du jeudi 2 juillet 2020 à 9h30
Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris :

Pour en revenir aux déclarations critiques que vous avez recueillies à l'égard de mon parquet général et de moi-même, je voudrais tout d'abord dire avec force que je n'ai reçu, dans l'affaire Fillon comme dans tous les autres dossiers relevant de mon contrôle hiérarchique, aucune instruction de la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), aucune instruction du pouvoir exécutif, et qu'ainsi je n'ai jamais relayé une demande du garde des Sceaux ou du pouvoir exécutif pour influer sur le traitement des procédures.

Vous m'interrogez sur le degré de suivi et de contrôle hiérarchique que le parquet général a exercé en ce qui concerne l'affaire Fillon. Il me semble qu'on a omis, à ce propos, de vous restituer le contexte, de rappeler quelle était la situation à compter du 25 janvier 2017. Or il ne faudrait pas céder à la facilité d'une réécriture de l'histoire à la lumière bien commode de ce qu'on appelle l'intelligence rétrospective : il est nécessaire de ne pas céder à un anachronisme judiciaire qui refuserait d'analyser les faits dans leur contexte.

Quelle était donc la situation de notre pays le 25 janvier 2017 ? Ce jour-là, Le Canard enchaîné publie dans ses colonnes une première mise en cause des époux Fillon, avec l'évocation d'un emploi fictif de Pénélope Fillon, pendant plusieurs années, comme attachée parlementaire, pour une somme de 500 000 euros, et d'un autre emploi dit fictif à la Revue des deux mondes, pour 100 000 euros. Cette révélation est suivie de deux autres articles, le 1er février 2017, concernant les enfants du couple, et le 8 février 2017, s'agissant des indemnités de licenciement de Mme Pénélope Fillon. M. Fillon, ancien Premier ministre de 2007 à 2012, est alors, comme chacun sait, candidat à l'élection présidentielle, après avoir été désigné à la suite d'élections primaires organisées au sein de la droite en décembre 2016. C'est donc, bien évidemment, un séisme politique, car ces révélations sont de nature à ternir l'image d'un candidat particulièrement bien placé dans la course à l'Élysée.

Le PNF décide de se saisir de l'affaire le jour même. C'est sa décision ; je n'ai pas à prendre position. C'est l'exercice de l'action publique. J'en suis informée, j'en prends acte. C'est tout. Si vous me demandez ce que j'en pense, je vous répondrai qu'on peut toujours contester cette rapidité ou revendiquer une trêve – qui, d'ailleurs, n'est pas dans la loi – pendant la campagne électorale – qui, d'ailleurs, n'avait pas officiellement commencé. Mais, à trois mois de l'élection présidentielle, il n'était pas illogique de procéder à de premières vérifications, qui, au demeurant, si elles s'étaient avérées négatives, auraient pu avoir pour effet de lever toute suspicion à l'égard des personnes mises en cause. Cependant, ces premières vérifications ne permettaient pas d'apporter d'éléments accréditant un emploi réel de Mme Fillon, ni comme assistante parlementaire ni comme conseillère littéraire à la Revue des deux mondes. D'ailleurs, la chef du PNF l'indiquait dans un communiqué du 16 février 2017 : « les nombreux éléments déjà recueillis ne permettent pas d'envisager, en l'état, un classement sans suite de la procédure ».

Vous vous en souvenez, plusieurs voix s'étaient élevées, dès le début du mois de février 2017, pour accuser le PNF d'entraver la vie démocratique par son enquête, et les critiques, parfois virulentes, s'étaient portées non seulement sur le terrain politique, mais aussi sur le terrain juridique. En effet, certains professeurs de droit avaient contesté à la justice, au nom de la séparation des pouvoirs, le droit d'enquêter. Dans une tribune signée par huit professeurs de droit et quatre avocats, il était prétendu que le fait d'« incriminer l'emploi discrétionnaire » des dotations allouées aux parlementaires consistait à s'attaquer « au principe constitutionnel de l'indépendance des assemblées parlementaires ».

J'en viens à la remontée d'informations. Spontanément, le PNF fait remonter au parquet général dès l'ouverture de l'enquête, le 25 janvier 2017, un rapport relatant sur quels faits et au vu de quelles qualifications l'enquête préliminaire est ouverte. Les actes d'investigation sont conduits tambour battant, puisque la Revue des deux mondes est perquisitionnée le 26 janvier et l'Assemblée nationale le 31 janvier. Ensuite, s'enchaînent les auditions des époux Fillon le 30 janvier 2017, de M. Marc Joulaud, suppléant, celle des collaborateurs de M. Fillon député, de M. Ladreit de Lacharrière et du directeur de la Revue des deux mondes.

C'est dans ces premiers jours, entre le 27 et le 31 janvier 2017, que nous enregistrons, il est vrai, deux demandes de la DACG avec des souhaits de remontées rapides et l'indication d'heures. Ces demandes de la chancellerie sont classiques. En effet, l'affaire Fillon répondait clairement aux critères définis par la circulaire du 31 janvier 2014 et par son annexe : on fait remonter à la chancellerie lorsqu'une affaire pose un problème « d'ordre sociétal » – c'était le cas –, « un enjeu d'ordre public » – c'était le cas puisqu'elle concernait l'organisation des élections et la vie démocratique –, « ayant un retentissement médiatique national » – c'était le cas –, ou bien encore susceptibles « de révéler une difficulté juridique » – cela allait être le cas – ou « de mettre en cause l'institution judiciaire » – c'était déjà le cas.

Ensuite, la remontée d'informations entre le PNF et le parquet général sur les résultats des actes d'enquête se fait spontanément et sans difficulté. La chef du parquet nous avait indiqué, dès le 25 janvier 2017, qu'elle tiendrait une sorte de « chrono » des investigations. Ainsi, la remontée d'informations n'entraînait aucun surcroît de travail significatif, puisque le PNF, pour son propre compte, analysait au jour le jour les résultats des actes des enquêteurs.

L'intensité de la remontée d'informations, quant à elle, a été à la seule mesure de celle des actes diligentés, qui l'ont été sans discontinuité. Ils étaient par ailleurs annoncés ou commentés dans la presse, celle-ci menant parfois sa propre enquête ou contre-enquête.

La remontée d'informations a eu lieu naturellement entre le PNF et les chefs du département du parquet général, qui faisaient remonter les éléments au bureau spécialisé en matière financière à la DACG. Ces remontées vers la DACG visent le résultat des actes d'enquête, jamais l'annonce préalable de ceux-ci, car il existe un principe : la remontée d'informations ne doit en aucun cas être susceptible d'entraver la manifestation de la vérité. C'est donc une remontée a posteriori.

On a dit que le procureur général avait exercé des pressions. Quel a donc été mon rôle, en particulier mon rôle de supervision ? Ma première intervention personnelle dans cette affaire se situe le 7 février 2017, pour demander à la cheffe du PNF de nous communiquer la note des avocats de la défense, en date du 6 février 2017, qui contestait la compétence ratione materiae de son parquet. Cela fait écho à mes observations précédentes s'agissant du rôle du parquet général en termes de soutien du parquet de première instance, dès lors que des difficultés juridiques particulières peuvent être soulevées à l'occasion de la conduite d'une procédure.

Dès le 6 février 2017, en effet, le candidat François Fillon puis ses avocats s'étaient exprimés dans la presse pour affirmer que le PNF n'était pas compétent, car le délit de détournement de fonds publics, fondant la saisine du PNF, n'était pas applicable aux parlementaires. Nous avions bien évidemment besoin, au parquet général, d'obtenir les conclusions de la cheffe du parquet pour connaître l'argumentation de la défense et donner notre expertise juridique, conformément à la mission que j'évoquais. Or les premières recherches effectuées au sein de mon parquet général retenaient, dans une lecture littérale du code pénal, que les atteintes à la probité, le favoritisme, la prise illégale d'intérêts, la corruption et le trafic d'influence mentionnaient expressément les personnes investies d'un mandat électif public comme susceptibles d'être pénalement responsables, mais pas le délit de détournement de fonds publics, puni à l'article 432-15 du code pénal. Le droit pénal étant d'interprétation stricte, il y avait là une véritable difficulté.

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