Intervention de Julien Dami Le Coz

Réunion du mercredi 8 juillet 2020 à 16h30
Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Julien Dami Le Coz :

Monsieur le président, je tiens à remercier, vous et votre commission, d'avoir permis que M. Jérôme Kerviel et moi-même soyons entendus pour porter à votre attention ce que nous considérons comme des dysfonctionnements majeurs de l'appareil judiciaire. Du fait de ma faible appétence pour l'exposition médiatique, vous ne savez sans doute pas que j'ai l'honneur d'assister depuis huit ans Jérôme Kerviel dans le combat judiciaire qu'il mène pour sa part depuis douze ans afin d'établir son innocence.

Notre présence devant votre commission n'a évidemment pas pour objet de nous permettre de développer des considérations tendant à établir l'innocence de mon client : ce n'est pas le lieu pour cela. En revanche, il me semble intéressant d'essayer de déterminer, conformément à l'objet de votre commission, s'il est acceptable qu'un justiciable soit condamné définitivement dans les circonstances que nous venons de porter à votre connaissance. En tant qu'avocat servant les intérêts de Jérôme Kerviel, je me suis, pour ma part, trouvé placé dans une situation inextricable. Si nous avons choisi de citer des extraits de nombreuses pièces, c'était pour éviter de placer notre audition sous le signe de l'interprétation, du subjectif : notre propos est étayé par des décisions de justice, des dépositions, toutes sortes de pièces constituant des éléments matériels et vérifiables. Nous avons soumis ces éléments à la cour de révision et de réexamen des condamnations pénales, puisque notre objectif est de faire annuler la condamnation pénale définitive de Jérôme Kerviel.

Or le fondement juridique du refus de la cour de révision d'annuler cette condamnation, et même de demander à sa commission d'instruction de procéder à des investigations complémentaires, tient dans la phrase suivante : « À supposer que ces éléments puissent être jugés recevables, il convient de relever qu'ils tendent seulement à établir que les magistrats du parquet étaient sous l'influence des avocats de la Société générale. Il sera seulement rappelé que M. Kerviel a été renvoyé devant le tribunal correctionnel à l'issue d'une instruction conduite par un magistrat du siège et que ce sont des magistrats du siège qui l'ont jugé tant en première instance qu'en appel. » Si je comprends bien cette motivation, peu importe que la défense à un procès pénal – en l'espèce, la Société générale – ait pu exercer une influence sur le parquet, c'est-à-dire l'autorité de poursuite, dès lors qu'un magistrat du siège – en l'occurrence, le juge d'instruction – a été chargé du dossier et a, par une ordonnance de règlement, renvoyé le dossier devant la juridiction de jugement qui tranche le litige, les soupçons de partialité du parquet doivent être écartés.

Vous imaginez dans quel état d'esprit on peut être quand on reçoit cela. Lorsqu'on entend parler d'influence, on pense à une infraction pénale. De fait, on pouvait se demander, à la vue de tous ces éléments, si cette influence ne relevait pas du champ pénal. C'est pourquoi nous avons déposé une plainte le 9 mai 2018 qui – tenez-vous bien – a été classée sans suite le 13 juin, alors que, parfois, avec les enquêtes préliminaires, on attend les classements sans suite. Au vu des éléments que Jérôme Kerviel vous a présentés, un mois d'enquête vous paraît-il suffisant ? De fait, aucun acte d'enquête n'a été effectué, rien ne s'est passé, hormis, peut-être, la lecture de la plainte . A minima, il aurait fallu auditionner les personnes intéressées.

On ne parle pas, ici, de pressions telles que les travaux de votre commission en ont récemment mises en lumière dans une autre affaire. Il est question que le parquetier en charge du volet principal de l'affaire, en 2008 et en 2009, à savoir le président de la section financière du parquet de Paris, n'aurait pas rédigé lui-même le réquisitoire définitif, et qu'un ou plusieurs avocats de la Société générale – je ne viserai personne, même si un nom a été cité – l'aurait fourni sur une clé USB. C'est hallucinant ! Si je vous fournissais ces éléments à l'extérieur de cette enceinte, vous bondiriez, vous ne pourriez conclure qu'à l'absence de procès équitable ! Or, et c'est en cela que la situation est inextricable, ces faits ont été portés à la connaissance de l'ancienne défense de Jérôme Kerviel après que la condamnation pénale a été définitive, et à l'issue du délai de six mois qui nous aurait permis de saisir la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).

Si, comme l'a établi la cour de révision, une partie civile a effectivement exercé une influence sur le cours du procès, en particulier sur le parquet de Paris – et notamment sur l'un de ses magistrats –, comment le mettre en évidence ? Auprès de la CEDH, il y aurait eu matière à faire valoir que l'égalité des armes n'avait pas été respectée et que Jérôme Kerviel n'avait pas bénéficié d'un procès équitable. Mais l'expiration du délai de saisine rend notre requête irrecevable. Déposer plainte auprès du parquet, nous ne pouvons pas davantage le faire sans risquer le classement sans suite expéditif, comme ce fut le cas en 2018 – non seulement, c'était un record jamais vu, mais le parquet n'avait même pas jugé bon de se dessaisir et de demander le dépaysement du fait que la plainte visait l'un de ses membres. Nous avons ensuite engagé, le 29 juin 2018, un recours hiérarchique auprès de Mme la procureure générale de la Cour d'appel de Paris, Catherine Champrenault. Depuis, plus rien…

Vous pourriez saisir le juge d'instruction, me rétorquerez-vous.

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