On a fait porter beaucoup de responsabilités à la suppression des renseignements généraux, beaucoup plus que la réalité ! Il est certain qu'il y a eu des évolutions : par le passé, on réalisait un suivi politique ; ce n'est plus le cas. En quelques années, le niveau d'information du premier flic de France a profondément évolué : le mythe d'un ministre de l'intérieur qui sait tout – grâce aux « notes blanches » – est dépassé. C'est plutôt sain, d'autant que leur contenu n'était pas forcément le plus intéressant.
Les services sont désormais restructurés. Certes, il y a un problème d'effectifs : le renseignement au sens large, comme les effectifs de la police et de gendarmerie, ont connu de nombreuses pertes pendant quelques années. Il faut les reconstituer, et c'est plus difficile dans certains services : nous recrutons des gardiens de la paix – des jeunes ont envie de rentrer dans la police et obtiennent le concours. Mais vous ne mettez pas forcément un jeune gardien de la paix à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) sur certains sujets. Il en faut mais il faut des gens formés. Dans cette direction générale, 1 900 emplois seront ouverts d'ici la fin du quinquennat, mais nous avons un peu de mal à recruter. Je ne dis pas cela du fait de la journée nationale d'action, mais nous recrutons davantage de contractuels que de fonctionnaires, compte tenu des profils.
N'exagérons donc pas la perte de renseignements : la restructuration a connu des loupés ; elle a peut-être été mise en œuvre brutalement, mais désormais, grâce à la DGSI, au service central du renseignement territorial (SCRT) et à la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP), nous avons un suivi attentif. Mais ce suivi peut être amélioré, notamment en renforçant les effectifs et les moyens – matériels et législatifs. Nous nous opposons souvent aux parlementaires, car le ministère de l'intérieur souhaiterait plus de liberté sur certains sujets. Des mesures ont été récemment annulées par le Conseil constitutionnel dans le projet de loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui donnaient des moyens judiciaires supplémentaires au procureur et rendaient certaines enquêtes plus efficaces. Le débat a été tranché par la décision du Conseil.
Le suivi est également effectué au niveau local en lien avec les préfets, auprès desquels sont placés les services du renseignement territorial, ou la préfecture de police et la DRPP pour Paris et les départements de la petite couronne. Avec les moyens dont nous disposons, c'est une priorité.
Pour prendre un exemple d'actualité, nous connaissons les réseaux sur lesquels vous enquêtez – et même ceux de l'ultragauche sur lesquels vous n'enquêtez pas. Au début du mouvement des Gilets jaunes, les services de renseignements ne disposaient d'aucune information sur ce dernier pour une raison simple : il s'agissait de réseaux non constitués. Il a donc fallu un temps pour identifier les leaders et, ainsi, anticiper par exemple la présence de mille manifestants à Toulon hier, parmi lesquels cent ou deux cents ultras. Il nous faut donc un temps d'adaptation. Mon expérience récente de ministre de l'intérieur me conduit à penser que nous disposons d'un assez bon niveau de renseignement mais qui gagnerait encore à être renforcé.