Intervention de Christophe Castaner

Réunion du jeudi 9 mai 2019 à 12h30
Commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en france

Christophe Castaner, ministre de l'intérieur :

Je n'ai pas répondu car il est difficile de répondre. Il s'agit plus d'apprécier la façon dont les médias d'information diffusent l'information et l'information qu'ils diffusent. Quand nos services de renseignement nous alertent, une enquête est menée par la police judiciaire, puis une sanction est décidée et la personne est condamnée. La sanction peut être exécutée, ou pas. Selon la gravité de cette dernière, un mandat de dépôt est émis, ou pas. Ainsi, certains peuvent être condamnés à un an et continuer à s'exprimer.

C'est dans le dispositif de sanctions judiciaires que le juge décide d'une interdiction, ou pas. Si ce n'est pas le cas, les médias sont libres d'inviter une personne ayant fait l'objet d'une condamnation à s'exprimer et, au nom de la liberté d'expression, à tenir des propos qui peuvent être considérés comme devant être défendus, même si vous les estimez contestables – sur les mêmes propos, j'aurais le même sentiment. Mais je suis obligé de rester dans ce cadre : une personne condamnée peut garder une parole libre et être invitée sur les plateaux.

Y a-t-il une responsabilité médiatique face à ces phénomènes ? Sûrement, mais le problème est plus profond. Je vais prendre un exemple récent : un média invite une personne qui organise des manifestations rassemblant trente à quarante personnes dans un aéroport samedi dernier. Cette personne va passer en boucle sur les chaînes d'information et sera invitée quatre à cinq fois, alors que sa capacité de mobilisation, je le rappelle, est de trente à quarante personnes. On pourrait trouver cela grave. Chacun se fera son opinion – vous avez deviné la mienne au ton de ma voix. Mais, le pire est que cela n'a plus d'importance, car le médium classique – même la chaîne d'information, qui est une création récente – est dépassé en matière de diffusion des idées dont on parle. Aujourd'hui, les réseaux sociaux sont la principale source d'information de certaines personnes qui vivent en cercle clos et ne reçoivent que les informations liées à l'analyse de leur profil philosophique et culturel par les algorithmes.

Nous le faisons tous : si vous recherchez plusieurs fois « Meyer Habib », toutes les informations sur Meyer Habib vont ressortir sur votre tablette tous les matins. Vous vous direz alors : « qu'est-ce qu'on parle de moi ! » – cela fonctionne aussi avec moi. Nous avons tous notre propre biais d'information.

Il ne serait pas opportun, et il est inutile, de faire un procès aux médias classiques car la bataille culturelle se joue ailleurs, notamment sur les réseaux sociaux qui déforment l'information. En conséquence, il n'y a plus de parole légitime : le sachant qui donnait une photographie de la réalité d'un moment donné au journal de 20 heures est par nature contesté, notamment par le biais de thèses complotistes, qui se développent à tout va. Une fausse information diffusée sur les réseaux sociaux peut être vue 800 000 à un million de fois. De même, une information réelle, auparavant considérée comme sans importance, peut être vue un million et demi de fois, bien plus que n'importe quel journal classique !

La bataille culturelle doit donc être menée au niveau des consciences, dans le temps éducatif – déterminant – mais aussi le temps familial, l'éducation nationale ne pouvant en porter toute la responsabilité, et le temps social au sens large. Mais je sors un peu du sujet…

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