Intervention de Hervé Adami

Réunion du jeudi 22 juillet 2021 à 10h45
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Hervé Adami, sociolinguiste, professeur à l'université de Lorraine :

Ma spécialité a en réalité trait à la formation linguistique des migrants, qui pâtissent d'insécurité langagière au même titre que les francophones natifs en situation d'illettrisme ou ne maîtrisant que difficilement leur langue à l'écrit.

Je reviendrai, devant votre commission, sur les dispositifs de formation existants à l'intention des migrants, en réitérant la nécessité pour eux d'apprendre notre langue.

Ancien formateur d'adultes, j'ai connu, depuis vingt ans, deux systèmes de formation très différents. L'instauration du contrat d'accueil et d'intégration (CAI) a en effet marqué un avant et un après en imposant le recours à des appels d'offres.

La qualité des formations s'est indéniablement améliorée, au cours de ces vingt dernières années. Leur pilotage par l'État apparaît comme une spécificité française. J'y vois plutôt un avantage, lié à la cohérence qu'il impose. Auparavant, des subventions revenaient à des associations, sans véritable contrôle. Or celles-ci ne proposaient pas toujours un enseignement au contenu adapté. Autrement dit, un problème de didactique se posait. Ne confondons pas cette discipline avec la pédagogie, qui se rapporte aux modalités d'apprentissage. D'ailleurs, il vaudrait mieux parler d'« andragogie » dans le cas d'adultes.

J'ai pris part à la mise en place d'un projet de français langue d'intégration (FLI), qui a malheureusement suscité trop d'oppositions pour perdurer. Il y a d'autant plus lieu de le déplorer que les problèmes mis en évidence par le référentiel conçu dans ce cadre continuent de se poser.

Le système de formation de l'OFII, quoique perfectible, fonctionne bien dans l'ensemble. Un rapport fourni, du ministère de l'intérieur, daté de 2014 et donc à réactualiser, dressait la liste des dispositifs d'apprentissage des langues à destination des migrants, en détaillant leurs financements, notamment européens. Notons que la France figure parmi les pays de l'union européenne les plus en avance de ce point de vue.

Des débats continuent de porter, au moins dans le microcosme universitaire et associatif, sur la nécessité pour les migrants d'apprendre le français. D'aucuns la tiennent pour une injonction discutable, alors même que le bon sens tend à l'assimiler à une évidence. Rappelons cependant que, si la connaissance de la langue ne garantit pas une intégration réussie, sa méconnaissance ne saurait, a contrario, la favoriser. Les nombreux appels à projets ou appels d'offres lancés par des organisations professionnelles en vue d'améliorer les formations en français achèvent de prouver que la maîtrise de la langue répond à un besoin.

Les primo-arrivants non francophones se heurtent à un mur linguistique au quotidien, dans le cadre du suivi de leurs enfants à l'école, par exemple, ou en milieu professionnel. Mon équipe de recherche reçoit beaucoup de sollicitations de la part des centres de formation d'apprentis (CFA), qui accueillent des jeunes à 95 % d'origine étrangère. Leur motivation pour trouver un travail bute sur leur piètre maîtrise du français. L'intégration passe également par des échanges, jour après jour, avec le voisinage, qui requièrent eux aussi une connaissance de la langue.

Des générations de migrants sont jadis arrivées sur le sol français, où ils n'ont appris notre langue que de manière informelle, au fur et à mesure. Toutefois, il ne saurait encore en aller ainsi aujourd'hui, dans notre société où l'information s'avère omniprésente, à l'oral comme à l'écrit. Beaucoup d'associations nous ont par exemple signalé que les primo-arrivants peinaient à comprendre les consignes du Gouvernement lors de la crise du Covid.

De multiples études s'accordent à relever que les migrants maîtrisant mieux la langue de leur pays d'accueil occupent des emplois plus qualifiés et mieux rémunérés de 15 % à 20 %. La maîtrise de la langue se révèle donc un enjeu fondamental.

Trois spécificités distinguent le public des migrants.

La première correspond à leur situation d'immersion linguistique, sans aucune échappatoire possible, ni la moindre stratégie d'évitement à leur portée, hormis le repli sur leurs propres communautés. De fait, s'il arrive à certains de trouver un premier emploi dans une entreprise gérée par quelqu'un qui parle leur langue, leur méconnaissance du français les empêche par la suite d'accéder à une promotion ou de changer de poste. Cet état de fait oblige à proposer des formations aux contenus adaptés. Celles de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ont bien pris en compte, et depuis longtemps, ce paramètre.

En second lieu, les niveaux de langue des migrants adultes, du fait de leurs parcours parfois compliqués, ne coïncident que malaisément avec ceux du cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL), relativement rigide.

Enfin et surtout, environ la moitié des étrangers arrivant en France ne possèdent pas de qualification supérieure à un équivalent du brevet des collèges. De nombreux migrants qu'il convient de former en vue de leur insertion ont donc été peu, voire pas du tout scolarisés. Ils se heurtent ainsi à un redoutable problème de maîtrise de l'écrit. Certains doivent apprendre à lire et écrire tout en acquérant des notions de français. Cette difficulté transparaît sur le terrain dans tous les pays d'Europe francophones et se double d'une difficulté à former les enseignants, même si l'université de Lorraine, notamment, leur dispense dorénavant des formations adaptées. Heureusement, les dispositifs de l'OFII prennent ces points en compte en adaptant les contenus des programmes d'alphabétisation.

Notons que la motivation des migrants pour apprendre le français n'est pas forcément sans faille. Du moins apparaît-elle des plus variable. Même s'ils tiennent à progresser dans la connaissance de notre langue, l'idée de retourner à l'école rebute ces adultes confrontés à de nombreuses autres préoccupations.

Votre commission m'avait demandé, en préalable à cette audition, si j'estimais souhaitables des formations anticipées à l'intention des demandeurs d'asile à peu près sûrs d'obtenir l'autorisation de rester en France. Je répondrai sans hésitation par l'affirmative. Une formatrice m'a rapporté que certains demandeurs d'asile, au statut reconnu, donc en droit de suivre une formation, enseignent le français à d'autres en attente que leur statut se confirme.

J'accueille en outre favorablement, là encore sans hésiter, l'idée d'un parrainage des réfugiés, car le meilleur moyen d'apprendre une langue reste à mon sens l'interaction avec des natifs.

Revenons sur les dispositifs mis en place par l'OFII. Leur centralisation, fidèle à la tradition française, présente le mérite de la cohérence, notamment au niveau des contenus, puisque ceux-ci restent imposés, y compris dans le cadre des appels d'offres adressés aux organismes de formation.

Signalons que ces appels d'offres s'étendent depuis peu à l'évaluation préalable des migrants. Le cahier des charges de l'OFII prévoit que celle-ci ne dépasse pas vingt minutes à l'écrit et dix à l'oral. Une telle durée me semble bien trop courte.

Le choix d'adopter les niveaux du CECRL, extrêmement vagues et généraux, me paraît lui aussi discutable, d'autant que ce cadre ne recueille pas l'unanimité. L'analyse publiée par certains de mes collègues le prouve assez. Les descripteurs de compétences rendent la distinction entre les niveaux A1.1 et A1 pratiquement impossible après à peine dix minutes de conversation. Peut-être gagnerions-nous à explorer d'autres pistes pour motiver les migrants dans leur apprentissage.

À l'issue des formations linguistiques généralistes de l'OFII, les migrants sont tenus d'obtenir des certifications, comme celle du test de connaissance du français (TCF). Il apparaît légitime de s'interroger sur ce qu'ils ont réellement appris, compte tenu des risques de bachotage. Une sorte d'industrie de la certification finit de fait par s'installer.

Si le choix du CECRL comporte l'avantage du confort, un système plus qualitatif resterait à inventer, prenant en compte les besoins langagiers précis des migrants, aussi bien professionnels que familiaux. Je doute que les dispositifs existants, certes conformes aux attentes administratives, parviennent pour l'heure à satisfaire ces besoins.

L'OFII prévoit une dispense d'assister aux formations en langue pour les migrants salariés ou poursuivant un projet professionnel précis, or ils sont nombreux dans ce cas. Je préconiserais plutôt de les orienter dès le départ vers des formations au français langue professionnelle (FLP). Nul n'ignore que les secteurs du bâtiment et des travaux publics (BTP), de l'entretien et des services à la personne emploient beaucoup de migrants. Pourquoi ne pas orienter les primo-arrivants, dès leur prise en charge par l'OFII, soit vers un apprentissage généraliste du français, soit vers une formation à visée professionnelle, que pourraient organiser des instances paritaires telles que les opérateurs de compétences ou encore les groupements d'établissements (Greta) et les CFA ?

Sans nier la qualité du système mis en place par l'OFII, il convient de signaler que le contrôle des formations, justifié dans la mesure où de l'argent public est en jeu, porte parfois plus sur leurs aspects administratifs, tels que les locaux ou les charges de financement, que sur les contenus. Les organismes qui innovent en termes de pédagogie n'en sortent pas favorisés.

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