Intervention de Corentin Bailleul

Réunion du mercredi 8 septembre 2021 à 15h45
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Corentin Bailleul, chargé de plaidoyer :

UNICEF France mène des actions de plaidoyer, de sensibilisation et de collecte d'informations sur les enfants en situation de migration en France. Nous œuvrons dans la recherche, la formation et l'échange de bonnes pratiques et il peut nous arriver de mener des actions en justice.

Compte tenu du périmètre de la commission d'enquête, je souhaiterais évoquer brièvement les conséquences sur les droits fondamentaux de la politique d'éloignement et de l'enfermement administratif des familles, une pratique à laquelle la France a recours malgré les recommandations du Comité des droits de l'enfant des Nations unies, qui lui enjoint régulièrement d'y mettre un terme, et les nombreuses condamnations de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Dans un arrêt du 22 juillet 2021, la Cour a condamné la France pour avoir placé en rétention au centre du Mesnil-Amelot, pendant onze jours, une femme et son nourrisson de 4 mois. L'an dernier, dans un contexte pourtant exceptionnel, 122 enfants ont été placés en rétention en métropole – contre 279 en 2019 – et 1 589 l'ont été à Mayotte – contre plus de 3 000 en 2019. Manifestement contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant, l'enfermement administratif a des impacts désastreux sur leur santé, d'autant que, dans les centres de rétention où la situation empire depuis plusieurs années du fait d'un taux d'occupation en hausse et d'un allongement de la durée de rétention, les actes de suicide, d'automutilation et les émeutes sont susceptibles de constituer des événements traumatisants.

L'assignation à résidence, la seule mesure alternative utilisée aujourd'hui en France, est présentée comme moins coercitive et à même de préserver l'unité familiale. Elle n'en demeure pas moins une mesure de contrôle, dont les effets peuvent être non négligeables sur les enfants : ils peuvent être témoins de l'interpellation de leurs parents ou astreints, par arrêté préfectoral, à les accompagner lors des pointages, même lorsque ceux-ci ont lieu pendant les horaires scolaires, ainsi que l'a constaté le Défenseur des droits.

En mai 2020, après un an et demi de travaux, Florent Boudié, soutenu par l'ensemble du groupe La République en marche, a déposé une proposition de loi visant à encadrer strictement la rétention administrative des familles avec mineurs. Ce texte, qui se limitait seulement à la rétention et ne concernait ni les zones d'attente ni les outre-mer, contenait cependant des avancées importantes comme l'interdiction du placement en rétention des femmes enceintes et la limitation de la rétention de confort. Mais il a été retiré la veille de son examen en commission des lois, dans des conditions qui questionnent.

S'agissant des mineurs non accompagnés (MNA), le Comité des droits de l'enfant relève dans ses rapports périodiques et ses observations finales sur la situation de la France que le cadre normatif et les pratiques administratives et judiciaires entravent l'exercice des droits fondamentaux contenus dans la Convention internationale des droits de l'enfant, notamment le principe de non-discrimination – article 2 –, l'intérêt supérieur de l'enfant – article 3 –, le droit à l'identité – article 8 – et le droit à la protection – article 20.

Une série de ruptures se produisent qui souvent transforment ce qui devrait être un parcours de protection en parcours de non-protection. Cela commence dès le passage de la frontière, où des associations telles que Human Rights Watch constatent des violations de droits, et en zone d'attente, où les MNA peuvent être maintenus jusqu'à vingt jours.

Cela se poursuit avec la première présentation aux services de protection de l'enfance : on constate des « refus guichets », l'accès aux dispositifs de protection étant refusé le jour même sans que la décision soit motivée ou même notifiée ; de son côté, la Cour des comptes a pointé dans un rapport récent l'existence de « pré-entretiens », des entretiens très succincts, sans base réglementaire, au terme desquels les mineurs peuvent se voir refuser la mise à l'abri.

Lorsqu'il est mis en œuvre, l'accueil provisoire d'urgence se fait majoritairement dans l'hébergement hôtelier, une solution loin d'être adaptée pour des enfants, encore moins pour des mineurs isolés qui ont besoin de répit, de mise en confiance, de protection et d'attention portée sur le soin. Le projet de loi relatif à la protection des enfants vise à interdire le placement des enfants en hôtel, ce qui est une très bonne chose, mais il prévoit aussi une exception pour les MNA durant la phase d'évaluation de leur minorité, ce que l'UNICEF regrette.

L'une des ruptures les plus importantes se produit précisément lors de l'évaluation de la minorité. Sur ce point, le rapport de la mission interinspections remis au Gouvernement en mai et qui n'a malheureusement pas été rendu public, pourrait alimenter utilement vos travaux. Je n'aborderai pas les questions de l'évaluation sociale et de la mesure de l'âge osseux – qui continue d'être pratiquée sous certaines conditions malgré son absence de validité scientifique – afin de concentrer mon propos sur la prise en compte insuffisante des documents d'état civil lors de cette phase. Je rappelle que l'UNICEF mène de nombreuses d'actions pour l'enregistrement des naissances, promeut un état civil qui soit permanent, continu, universel, mobilisable à l'extérieur des frontières nationales, y compris pour les enfants en situation de migration. Même si un document prouvant la minorité est présenté, et malgré un cadre relativement protecteur – les documents d'état civil sont présumés authentiques aux termes de l'article 47 du code civil –, on constate que les départements tendent à le disqualifier au motif, notamment, qu'il ne comporte pas de photographie et qu'il est impossible de le rattacher à la personne qui le présente. En outre, lorsque le document est authentifié après vérification par les services de la fraude documentaire, les départements peuvent mobiliser d'autres méthodes d'évaluation – si bien qu'une prise en charge administrative peut être refusée quand bien même il existe un document d'état civil authentique.

Malgré les dispositions de l'article 8 de la Convention des droits de l'enfant, qui prévoient que le mineur est assisté pour le rétablissement de son identité, les mineurs ne sont pas accompagnés dans la reconstitution de leur état civil par l'autorité de protection. UNICEF France considère que cela serait pourtant la méthode la plus fiable pour se prononcer sur la minorité d'un individu.

La principale rupture survient lorsque le mineur voit sa minorité contestée par l'autorité administrative. Malgré l'absence de données fiables, on constate, et différents rapports parlementaires le démontrent, que le taux de non-admission à l'aide sociale à l'enfance (ASE) augmente depuis quelques années. Des mineurs se voient ainsi privés de toute forme de protection, même s'il n'est pas rare que leur minorité soit finalement établie par l'autorité judiciaire, notamment sur la base du document d'état civil qu'ils avaient produit. Cependant, le recours devant le juge des enfants – le Conseil d'État a considéré en juillet 2015 que le mineur, incapable d'ester en justice, ne pouvait se pourvoir devant le juge administratif – n'étant pas suspensif, le mineur ne peut bénéficier d'une protection provisoire durant l'examen judiciaire de sa minorité.

Je rappelle que dans trois décisions contre l'Espagne en 2019, le Comité des droits de l'enfant a rappelé que le jeune devait pouvoir contester son évaluation en justice et, durant toute la procédure, se voir accorder le bénéfice du doute et être traité comme un enfant. Le Comité des droits de l'enfant, qui considère que le plus grand risque est d'envoyer un mineur potentiel dans un centre n'hébergeant que des adultes, est pourtant très clair sur ce point. En France, la présomption de minorité n'est garantie que jusqu'à la décision administrative, ce qui nous semble constituer une violation manifeste de l'intérêt supérieur de l'enfant.

Le projet de loi relatif à la protection des enfants prévoit la systématisation du recours au fichier d'aide à l'évaluation de la minorité (AEM), fichier national biométrique créé par la loi « immigration, asile et intégration » » du 10 septembre 2018. Cet instrument vise à lutter contre le prétendu « nomadisme » des jeunes qui demanderaient la protection dans plusieurs départements. Ce phénomène, comme le rappelle la Cour des comptes, n'est pas mesurable et n'est donc pas, ou peu, objectivé. D'ailleurs, les récentes études d'impact, notamment sur le projet de loi relatif à la protection des enfants, ne font pas mention d'un bilan sur l'application de ce fichier.

Cet instrument nous semble contenir un certain nombre de dispositions qui compromettent l'effectivité des droits des enfants. Nous notons l'absence de garanties entourant le recueil des données personnelles des mineurs, la présentation de mineurs sans qu'ils aient fait l'objet d'une mise à l'abri dans un accueil provisoire d'urgence, des agents en préfecture qui ne sont pas toujours formés ou habilités à mener un entretien avec un mineur, l'absence d'un lieu dédié au sein des préfectures, l'absence d'intermédiation et d'interprète. Nous déplorons que l'enregistrement des données personnelles conditionne la poursuite de l'évaluation et que le refus, par le mineur, de se soumettre au relevé de ses empreintes entraîne de telles conséquences – un point que le projet de loi relatif à la protection des enfants tente de traiter. Nous constatons, enfin, qu'un certain nombre de décisions se fondent uniquement sur les résultats de la comparaison des fichiers biométriques des empreintes et des données personnelles des mineurs en préfecture, au-delà du cadre légal et de la décision du Conseil constitutionnel.

Plus préoccupante encore est la possibilité donnée aux préfectures d'enclencher plus rapidement et plus facilement une procédure d'éloignement à l'encontre des mineurs dont la minorité et l'isolement ont été contestés par une simple décision administrative, sans qu'il leur soit possible d'exercer un recours suspensif devant le juge des enfants : cela aggrave considérablement les conséquences d'un refus provisoire de l'administration.

La décision de justice reconnaissant la minorité et l'isolement ne constitue malheureusement pas toujours une garantie de protection. Il arrive que des conseils départementaux n'exécutent pas la décision tendant à confier le mineur à la protection de l'enfance. Cette pratique, contraire à la loi, est sanctionnée par les tribunaux administratifs. En outre, lorsqu'en vertu du mécanisme de péréquation un mineur est orienté vers un second département, les autorités administratives et judiciaires peuvent remettre en cause la décision de justice initiale et procéder à une réévaluation de la minorité. Là encore, le projet de loi relatif à la protection des enfants contient une disposition tendant à interdire cette pratique, mais seulement lorsqu'elle est du fait de l'administration. Or ce sont bien souvent les parquets qui procèdent à la nouvelle évaluation de l'âge des mineurs.

Les conditions de la prise en charge des mineurs sont très variables selon les départements. L'accueil et l'accompagnement peuvent être de qualité dans de nombreux départements, le droit à l'éducation et à la santé, du moins somatique, étant garantis. En revanche, on constate que de plus en plus de mineurs sont orientés vers des dispositifs spécifiques, dispositifs dont les « prix journée » diminuent et sont en moyenne inférieurs à ceux prévus pour les structures ordinaires de la protection de l'enfance. L'association InfoMIE, qui a entrepris il y a quatre ans un état des lieux en constituant un observatoire des appels à projets MIE/MNA fait état de « prix journée » de 45 euros, voire de 37 euros, quand le coût journalier moyen de la prise en charge d'un jeune en protection de l'enfance est d'environ 150 euros.

La question du retour des mineurs non accompagnés a émergé récemment, à la suite de la signature, le 7 décembre, par les gouvernements français et marocain, d'une déclaration d'entente sur la protection des mineurs, texte dont les modalités d'application ont été précisées par la circulaire du 8 février relative au schéma de procédure pour la prise en charge de mineurs non accompagnés. Nous ne sommes pas opposés par principe au retour volontaire des MNA, qui est prévu par une circulaire du 25 janvier 2016 et qui, bien que rarement mis en œuvre, peut constituer une solution durable. Cependant, la déclaration d'entente, qui prévoit le retour forcé, et les conditions de prise en charge au Maroc ne semblent pas apporter les garanties suffisantes pour les enfants et adolescents concernés.

Il convient d'abord de rappeler que si la réunification familiale peut être dans l'intérêt de l'enfant, elle ne doit être envisagée qu'à deux conditions : qu'elle ne mette pas en danger l'enfant et que sa famille ait exprimé sa volonté de le reprendre en charge. Or l'analyse sociologique du projet migratoire des mineurs isolés marocains et des déterminants du départ laisse supposer que leurs liens familiaux sont souvent distendus et détériorés. Par ailleurs, le retour des mineurs suppose que les autorités du pays de retour puissent s'assurer de la qualité des conditions d'accueil dans la famille.

Dans le cas où le mineur ne serait pas recherché par sa famille, le schéma de procédure prévoit la possibilité de le placer dans un établissement de protection sociale au Maroc. Mais malgré les efforts importants consentis par le gouvernement marocain ces dernières années, la qualité de la prise en charge par ces institutions demeure très insuffisante, au point d'aller à l'encontre des droits fondamentaux des enfants – je tiens à votre disposition des documents sur la situation des droits de l'enfant au Maroc et sur les établissements de protection de l'enfance marocains.

Lorsque le mineur ne consent pas au retour, le schéma de procédure prévoit qu'un travail éducatif devra être réalisé par les services sociaux français afin de le faire adhérer à la mesure. En cas d'échec, le procureur de la République pourra requérir le concours de la force publique. C'est un point très préoccupant : nous alertons l'opinion sur les conditions de ce retour forcé, soulignant le caractère potentiellement traumatique de ce dernier. Cette procédure apparaît comme une façon détournée de mettre en œuvre l'expulsion, explicitement prohibée par la loi, d'un mineur isolé.

Nous sommes également très inquiets du traitement pénal qui pourrait être réservé aux mineurs au Maroc. La convention de La Haye de 1996, sur laquelle repose la déclaration d'entente, ne prévoit qu'une coopération en matière civile. Or le schéma de procédure prévoit la possibilité pour le parquet français de dénoncer aux autorités marocaines, aux fins de poursuites, les faits commis par ces enfants en France. Par ailleurs, les mineurs de retour sont susceptibles d'être poursuivis pour immigration illégale, un délit au Maroc, et éventuellement incarcérés. En 2017, 231 mineurs ont été poursuivis sur ce motif, selon les données du ministère marocain de la justice.

Les effets de cette coopération avec le Maroc étant peu visibles, il nous a paru important de les évoquer devant vous. Aucun argument ne doit l'emporter sur la protection due à ces mineurs. Il faut accompagner le retour d'un certain nombre de garanties afin qu'il se fasse dans l'intérêt de l'enfant.

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