Intervention de Corentin Bailleul

Réunion du mercredi 8 septembre 2021 à 15h45
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Corentin Bailleul, chargé de plaidoyer :

Les difficultés que j'ai évoquées concernent le recours contre le refus par un département d'accorder le bénéfice de l'aide sociale à l'enfance. Il s'agit d'une décision administrative, qui peut donc être contestée, en principe, devant le juge administratif. Or, comme je l'ai indiqué, le Conseil d'État a considéré, dans un arrêt rendu le 1er juillet 2015, qu'une personne se présentant comme mineur ne pouvait ester en justice en son nom propre et que le seul juge compétent pour examiner un tel recours était le juge des enfants. En effet, lorsqu'un mineur saisit la justice, le juge naturel est le juge des enfants, conformément à l'article 375 du code civil, qui prévoit que tout mineur en danger peut le saisir directement. Toutefois, ce n'est pas vraiment une procédure de contestation de la décision administrative. De nombreuses questions se posent, notamment celle de sa conformité avec le droit international.

Pour notre part, nous demandons que le juge des enfants puisse intervenir au plus tôt, disposition qu'il s'agirait d'inscrire dans le code de l'action sociale et des familles– nous avons formulé cette proposition lors de l'examen du projet de loi relatif à la protection des enfants. Selon nous, l'autorité judiciaire, en l'espèce le juge des enfants, doit pouvoir être saisi dès le début de la phase d'évaluation et doit être pleinement en mesure de se prononcer sur la minorité du jeune, mais aussi d'établir si sa santé, sa sécurité ou sa moralité sont en danger, aux termes de l'article 375 du code civil – par exemple s'il est sous l'emprise d'un réseau, ou encore s'il consomme de la drogue. C'est une solution très concrète, qui supprimerait la phase d'entre-deux – véritable point noir – séparant la décision administrative et la décision judiciaire.

Nous vous rejoignons tout à fait sur la question de l'état civil, monsieur le président. L'UNICEF soutient dans de nombreux pays des opérations visant à renforcer l'architecture légale en la matière. Nous accompagnons en ce sens les gouvernements et les services chargés de l'enregistrement des naissances. Au-delà, nous défendons le principe d'un état civil universel, gratuit et permanent. La permanence est un aspect essentiel, qui soulève la question des supports sur lesquels l'état civil est inscrit et celle de la façon dont les mineurs peuvent s'en prévaloir ou le mobiliser.

En matière de coopération internationale, on pourrait effectivement envisager des mécanismes ou des circuits permettant à la France d'interroger les autorités du pays d'origine dans le cas où un jeune ne présente pas de document d'état civil – sauf si celui-ci demande l'asile ; c'est un cas d'exclusion. Notons que des instruments légaux existent déjà. La levée d'acte permet aux autorités consulaires françaises de demander aux autorités locales la copie d'un acte pour s'assurer de son existence. Cela pourrait être un moyen d'accompagner les mineurs lorsque leur état civil existe. Quand l'état civil n'existe pas ou n'existe plus, le pays d'origine peut le reconstituer. Et, s'il est impossible de le reconstituer à l'étranger, il peut être établi en France par un jugement supplétif d'acte de naissance.

Il convient en effet de développer la coopération bilatérale et internationale, dans une finalité exclusive : la protection des enfants. La reconstitution ou l'établissement de l'état civil y contribuent.

J'évoque à ce sujet un dernier point, sur lequel travaillent de nombreuses associations, assistées d'avocats. Lorsqu'un acte d'état civil est présenté à la division de l'expertise en fraude documentaire et à l'identité (DEFDI) – auparavant bureau de la fraude documentaire – de la police aux frontières ou aux référents fraude des préfectures, ces professionnels le comparent avec un index de l'état civil existant. Selon nous, il faudrait consolider cet index, par nature lacunaire, tant l'état civil est évolutif et tant il est difficile d'établir une cartographie portant sur l'ensemble des municipalités ou des cantons des pays d'origine.

Les avis de la DEFDI ne sont pas toujours suffisamment étayés : ils n'affirment pas que l'acte est authentique ou falsifié, car c'est souvent difficile à dire, mais émettent un avis « favorable » ou « défavorable », car « tout porte à croire » que l'acte est authentique ou falsifié. Il conviendrait selon nous de fiabiliser cette procédure, en améliorant la communication entre les services de la fraude documentaire et les pays d'origine, notamment sur la législation applicable et son évolution. Cela dépend évidemment du contexte politique et de l'instabilité administrative qui affecte certains pays.

J'en viens au fichier AEM. Nous vous rejoignons tout à fait, madame Dupont, sur la nécessité de garantir l'identité et l'état civil des mineurs isolés. Nous ne contestons pas l'inscription de ces données dans des fichiers, dès lors que ceux-ci ont une finalité unique : la protection des enfants. Or le fichier AEM a deux objectifs affirmés, qui nous semblent inconciliables : protéger les enfants et lutter contre l'immigration irrégulière. Malheureusement, on a du mal à voir en quoi il garantit la protection des enfants.

Lorsqu'un mineur est reconnu comme bénéficiaire de la protection de l'enfance, il a une existence : il a probablement déjà des documents ; son état civil est mentionné dans une décision de justice. Dans ce cas, les services départementaux possèdent des données sur l'enfant qui lui est confié. Ils peuvent aussi reconstituer son état civil, son identité, notamment en vue de sa régularisation à 18 ans, autre enjeu important. Quand on lui reconnaît le statut de réfugié ou de protégé subsidiaire, c'est l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) qui s'en charge.

Il nous semble peu opportun d'assigner au fichier AEM la finalité de lutter contre le « nomadisme ». Le croisement des données personnelles qu'il contient avec celles des fichiers utilisés pour le contrôle de l'immigration, VISABIO et AGEDREF – application de gestion des ressortissants étrangers en France –, nous semble plutôt nuire à la qualité de l'évaluation de la minorité. Quant au transfert des données personnelles vers le fichier AGEDREF 2 à la suite d'une décision de refus rendue par un département – la seule finalité étant alors de lutter contre l'immigration irrégulière –, il n'a selon nous pas sa place. En effet, il a un effet dissuasif : un certain nombre de mineurs ou de jeunes majeurs – en réalité, il est impossible de le dire – craignent l'enregistrement de leurs données personnelles en raison des conséquences d'une décision de refus.

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