Intervention de Denis Jacob

Réunion du mercredi 16 septembre 2020 à 15h30
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Denis Jacob, secrétaire général d'Alternative Police :

Je vous remercie de votre invitation, car il me paraît important que nous puissions vous apporter notre éclairage professionnel sur le nouveau schéma national de maintien de l'ordre.

Je commencerai par rappeler le contexte qui a mené à son élaboration. Le maintien de l'ordre n'a jamais été remis en cause en France parce qu'il a toujours été efficace. C'est parce que certaines manifestations ont évolué vers des violences auxquelles nous n'avions jamais été confrontés qu'il a fallu s'adapter. Le principe a toujours été le maintien à distance pour éviter la confrontation, et nous nous sommes donc trouvés fort démunis quand nous y avons été exposés.

Alternative Police CFDT, nouveau syndicat des gradés et gardiens de la paix, a lancé l'alerte sur cette absence de réponse depuis sa création en 2015, notamment lors des premiers faits de violence constatés au cours des différentes manifestations contre la « loi travail » ou « loi El Khomri ». Nous avions à l'époque été confrontés aux ultras, aux black blocs, à des casseurs, donc, ce qui a mis en évidence l'inadaptation de la doctrine du maintien de l'ordre de notre pays.

Je déplore, tout comme les collègues qui viennent de s'exprimer, que les professionnels que nous sommes, notamment les CRS, n'aient pas été associés à la concertation pour trouver les bonnes solutions et les bonnes réponses, car ce sont bien les techniciens de terrain qui sont en mesure de déterminer ce qu'il convient de faire pour adapter la technique du maintien de l'ordre à la réalité à laquelle nous sommes confrontés. Je me réjouis néanmoins que Christophe Castaner puis Gérald Darmanin aient pris en compte les propositions que nous avons publiées dans des tribunes médiatiques.

Alternative Police a en effet prôné dès 2016 l'utilisation d'outils alternatifs à ceux du maintien de l'ordre classique, qui ont été repris dans le schéma. Nous aurons toujours besoin de recourir à la force légitime pour contenir les troubles à l'ordre public compte tenu des violences auxquelles nous sommes confrontés ; des moyens adaptés peuvent toutefois être utilisés pour limiter ce recours. La désescalade est par exemple pratiquée en Allemagne : des médiateurs agissent en amont de la manifestation auprès des organisateurs et font en sorte de maintenir un contact permanent avec les participants pour éviter les débordements, ou à tout le moins convaincre les manifestants pacifistes de ne pas se mêler à ceux qui viennent pour casser. Durant des manifestations de gilets jaunes, nous avons précisément été confrontés à la situation où des personnes se sont retrouvées au milieu d'affrontements entre CRS et casseurs. Ces techniques sont donc très utiles. Nous demandions également depuis cinq ans d'être équipés en matériels audio puissants et en panneaux lumineux, également utilisés en Allemagne, pour indiquer clairement à la population ce que nous faisons et la façon dont nous intervenons, ou communiquer des ordres de dispersion. Il est prévu que ces outils soient déployés et je m'en réjouis ; nous n'avons cependant pas encore de précisions sur le matériel qui sera mis à notre disposition.

Nous manquons également de matériel lourd comme les canons à eau. Nous avions proposé l'utilisation de traceurs chimiques pour pouvoir interpeller les casseurs a posteriori plutôt qu'immédiatement, ce qui suppose d'aller directement au contact et présente le risque d'avoir des blessés de part et d'autre. Je rappelle que les policiers ont enregistré des milliers de blessés pendant les manifestations des gilets jaunes, et que certains dommages collatéraux graves sont avant tout la conséquence d'affrontements ayant eu lieu non pas avec des CRS – parce que ce sont des professionnels du maintien de l'ordre, ils ont globalement très bien fait leur travail – mais avec des personnels envoyés en renfort, non équipés, et non formés au maintien de l'ordre. Face à des personnes particulièrement virulentes, le seul moyen de protection que ces agents avaient en leur possession était cette arme qui fait toujours polémique : le lanceur de balles de défense (LBD).

La réflexion ne doit donc pas s'arrêter au seul schéma de maintien de l'ordre : comme nous y invitait mon collègue voilà quelques instants, elle doit inclure la formation des policiers en général, et des CRS en particulier. Je suis d'ailleurs convaincu que tout policier doit être formé au maintien de l'ordre, car il est à craindre que les mouvements sociaux continueront d'être noyautés par des personnes dont l'objectif est de remettre en cause l'autorité de l'État et de déstabiliser notre démocratie. Nous devons nous donner les moyens de répondre à ces violences en évitant les dommages collatéraux que nous avons connus durant les manifestations des gilets jaunes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.