Intervention de Grégory Joron

Réunion du mercredi 16 septembre 2020 à 15h30
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Grégory Joron, secrétaire général délégué d'Unité SGP Police FO :

Je répondrai au sujet de la judiciarisation : j'ai dit regretter non pas qu'elle soit accrue, mais qu'on mette l'accent sur l'interpellation immédiate.

Bien sûr, il doit y avoir une réponse judiciaire aux infractions commises, et ce que tous nous avons déploré, en particulier avec le mouvement des gilets jaunes, c'est le sentiment d'impunité de ces personnes qui venaient chaque samedi à Paris pour tout casser puis repartaient comme si de rien n'était. Cette réponse peut toutefois prendre une autre forme que l'interpellation immédiate : le dispositif de maintien de l'ordre est déjà suffisamment difficile à installer, et rétablir l'ordre en situation dégradée n'est pas toujours facile. En posant pour objectif l'interpellation, on s'éloigne quelque peu de ce que doit être une mission de maintien de l'ordre.

Je ne dis pas qu'il ne faut pas interpeller. J'aurais néanmoins souhaité qu'on privilégie plutôt la judiciarisation a posteriori, avec l'identification des auteurs grâce à de nouveaux moyens techniques tels que le marquage ou la captation vidéo. Je ne suis pas favorable aux techniques de la désescalade, qui induisent plusieurs difficultés. Les appliquer comme le font nos voisins allemands supposerait notamment de doubler les effectifs de CRS, et je doute que nous en ayons les moyens. C'est en outre un système oppressif, qui s'appuie sur une présence policière démesurée. La désescalade a enfin pour corollaire la suppression des moyens intermédiaires : les agents se retrouvent ainsi démunis face à une violence accrue. En 2015, lors de l'inauguration du nouveau siège de la banque centrale européenne à Francfort, les policiers ont été contraints de quitter le terrain parce qu'ils n'arrivaient pas à le tenir ; je ne suis pas sûr que ce soit un bon message dans une république qui se dit forte.

Si nous avions été consultés au sujet de la judiciarisation, nous aurions mis en avant le cas de l'Angleterre, où les agents se rendent au domicile des personnes à interpeller le lendemain des manifestations et appliquent une réponse pénale très ferme. Une communication ad hoc vise à casser le sentiment d'impunité, et les forces de l'ordre utilisent la manœuvre pour éventuellement faire cesser l'infraction. L'objectif n'est donc pas forcément de rechercher l'interpellation immédiate à tout prix, ce qui serait de nature à déséquilibrer un dispositif de maintien de l'ordre déjà difficile à tenir.

La plus grosse difficulté rencontrée avec ces mouvements était simplement de « séparer le bon grain de l'ivraie », de parvenir à cibler les black blocs en les dissociant des personnes venues légitimement exercer un de leurs droits les plus fondamentaux : s'exprimer dans la rue.

Concernant le LBD, le nombre important de tirs vient du fait que nous avons dû mettre tous nos collègues dans la rue pour encadrer les manifestations dans toutes les villes où elles avaient lieu. À Lorient, par exemple, il n'y avait pas de CRS, et seul un demi-escadron de gendarmerie mobile a pu être envoyé en renfort. Des collègues qui étaient depuis des années au service du timbre-amende ou à la brigade accidents ont été sortis du commissariat et, casque sur la tête, envoyés sur une opération de maintien de l'ordre. Des effectifs non formés aux violences urbaines et à la gestion de foule ne peuvent pas avoir la même approche que leurs collègues aguerris au travail en milieu hostile, capables de garder à l'esprit que la plupart des personnes qui leur font face sont des citoyens en colère, et non pas des assassins ou des délinquants. Et ces collègues non formés ont été exposés à leurs dépens, car plusieurs se retrouvent à présent seuls sur le banc des accusés.

C'est la raison pour laquelle le LBD 40 a été très utilisé, et le conserver dans l'arsenal est une nécessité absolue, sauf à ce qu'on trouve une autre arme pour le remplacer. Ce qui nous importe, c'est d'avoir un outil efficace à utiliser en cas de besoin.

Quant à la nouvelle grenade, elle semble en effet plus sécurisée, puisque le bouchon allumeur ne se désolidarise pas du corps. L'impact sonore et la capacité demeurent inchangés : une grenade de désencerclement projette dix-huit plots. Il y a toutefois un petit bémol : elle nous a été distribuée sans avoir été essayée dans la police, ce que nous avons dit au ministre. Puisque j'ai juré de dire la vérité, je ne vous cacherai pas que ce changement s'est fait dans la précipitation. Des services ont dû rendre samedi, le jour de la manifestation, les anciennes grenades pour être équipés des nouvelles, ce qui pose question. Enfin, la chaîne pyrotechnique de ce nouveau matériel serait un peu plus longue, ce qui suscite notre inquiétude : la grenade pourrait être rejetée sur les agents, des manifestants pourraient être tentés de la ramasser.

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