Intervention de François Molins

Réunion du jeudi 5 novembre 2020 à 9h00
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

François Molins, procureur général près la cour de cassation :

Je ne partage pas l'appréciation relayée dans la première question, sur la militarisation de la police. Nous ferions la guerre aux terroristes – certains hommes politiques le disent régulièrement. Sur le plan policier et judiciaire, l'antiterrorisme ne se fait pas dans un cadre guerrier, mais dans celui de l'état de droit. Il est régi par des règles de procédure pénale qui présentent simplement des particularités, puisqu'on peut recourir, en fonction des enjeux, à certaines règles exorbitantes du droit commun.

Ce qui peut prêter à l'ambiguïté est que nous pouvons, en matière d'antiterrorisme, intervenir non seulement au moment où les infractions sont commises ou tentées, mais aussi où elles sont préparées. L'association de malfaiteurs terroristes nous donne la possibilité d'investiguer des actions projetées ou préparées, ce qui nous permet d'intervenir beaucoup plus tôt.

Contrairement à ce que disent certains, et notamment l'auteur que vous avez évoqué, je ne pense pas du tout que l'antiterrorisme se traduise par une montée en puissance du renseignement. Je pense au contraire que l'antiterrorisme, depuis 2015, se traduit par une montée en puissance du judiciaire. Au travers du chef d'association de malfaiteurs terroristes, l'antiterrorisme a été conduit à judiciariser beaucoup plus tôt et beaucoup plus en amont des renseignements fournis par la direction générale de la sécurité intérieure et par d'autres services de renseignement, sous la pression de la recherche du risque zéro et pour éviter le passage à l'acte terroriste. Je ne m'inscris donc pas du tout dans la ligne des idées que vous avez évoquées.

Je persiste à penser que l'état de droit a été respecté dans notre pays. Le cadre d'usage des armes prévu à l'article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure ne concerne pas les opérations Sentinelle. Il a été voté et respecte les principes inscrits dans la Convention européenne des droits de l'homme.

Pour répondre plus précisément à madame Kuster, je n'ai pas voulu trop entrer dans les détails, mais notre idée s'inscrivait dans le cadre d'une organisation extrêmement complexe : les compagnies républicaines de sécurité et les gendarmes mobiles arrêtaient les personnes et les conduisaient à des policiers. Elles étaient réparties dans des fourgons grands ou petits, dont on attendait qu'ils soient remplis et qui partaient ensuite vers un grand nombre de commissariats. Dans cette situation, des manifestations aboutissaient à ce que des centaines de personnes interpellées soient réparties entre vingt, trente ou quarante commissariats parisiens, dont parfois les vingt commissariats d'arrondissement, le centre de traitement judiciaire situé rue de l'Évangile, dans le 18e arrondissement, mais aussi des commissariats du Val-de-Marne, des Hauts-de-Seine, voire de la Seine-Saint-Denis.

Ce système était évidemment chronophage et nécessitait beaucoup de moyens, en camions et en personnels. Il entraînait des délais d'acheminement et donc des difficultés pour notifier les droits à temps. Le tout forçait des centaines de policiers à travailler pour rien. Cette manière de faire désorganisait les commissariats, qui n'avaient pas de place dans les geôles pour y mettre d'autres gardés à vue, ne pouvaient pas traiter d'autres procédures, etc.

Notre idée consistait donc en un centre de traitement unique, à mettre en service en perspective d'une grande manifestation. Il aurait permis de regrouper en un même lieu l'ensemble des personnes interpellées, qui auraient bénéficié d'un traitement plus efficace, plus pertinent, et répondant mieux aux contraintes de notification des procédures. Nous pensions à l'époque aux lieux libérés par le dépôt de l'ancien Palais de justice. Nous avons fait état de cette idée à la fois au ministère de la Justice, au ministère de l'Intérieur et aux services du Premier ministre.

J'ai déjà évoqué l'exemple du 1er mai 2018. Le 2 mai au matin, la désorganisation était telle que les services de police parisiens n'étaient plus en mesure de traiter normalement les procédures arrivant au fil de l'eau dans les commissariats. Cette situation avait conduit monsieur Sainte, directeur de la police judiciaire, à nous contacter et à se porter volontaire pour traiter, à la place des commissariats, les procédures qui auraient normalement dû entrer dans leurs compétences.

Une réflexion me paraît nécessaire sur le sujet. Paris est de plus en plus le théâtre de grands événements. Il faut donner à la police et à la justice les moyens de travailler, avec des organisations qui existent déjà dans certains pays. Elles ne sont pas du tout liberticides, au contraire : il est plus facile de respecter et faire respecter les droits des citoyens avec ce type de dispositifs.

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