Intervention de Dominique Pradalié

Réunion du jeudi 5 novembre 2020 à 11h30
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Dominique Pradalié, secrétaire générale du Syndicat national des journalistes (SNJ) :

Depuis le 7 janvier 2015, nous, journalistes, avons l'impression de vivre un cauchemar. Nous soutenons la liberté d'expression et d'information, mais nous nous heurtons à de nombreuses difficultés. La loi de 2015 sur le renseignement, la loi sur la protection des sources, la loi sur le secret des affaires, la loi sur les fake news restreignent nos libertés d'informer et nous contraignent.

Le SNJ a déposé un recours devant le Conseil d'État. Il nous semble en effet que le schéma national de maintien de l'ordre, et en particulier ses articles concernant les journalistes, consacre les faits lamentables observés sur le terrain lors des manifestations sociales. Depuis deux ans, des règles allant à l'encontre de la liberté de la presse ont été instituées. Notre syndicat a comptabilisé plus de 200 journalistes empêchés de travailler par les forces de l'ordre. Nos journalistes ont été insultés, injuriés, mis en garde à vue, blessés parfois sérieusement, empêchés de pénétrer ou de sortir des lieux de manifestations ; leurs cartes de presse ont été volées, déchirées. Le nouveau schéma, par ses éléments concernant la presse, accrédite l'idée que les journalistes ne sont que tolérés et qu'ils doivent prioritairement se plier aux besoins du maintien de l'ordre. Il indique qu'« il sera proposé aux journalistes des sensibilisations » au maintien de l'ordre, mais il ne prévoit pas la formation des policiers et des CRS au travail des journalistes.

Le schéma, en s'appuyant sur le code pénal, ne distingue pas le délit d'attroupement du fait de se maintenir dans un attroupement après sommation. Il confond les journalistes et les personnes participant à ces attroupements. Il précise que celles-ci doivent cesser l'attroupement dès lors que les forces de l'ordre le demandent. Or, les journalistes ne sont pas des participants. Ce sont des observateurs. Ces glissements sémantiques conduisent les forces de l'ordre à réprimer les journalistes et les empêchent de mener leur mission de témoignage et de transmission de l'information.

La Cour européenne des droits de l'homme le dit sans ambiguïté : « les médias jouent un rôle crucial en matière d'information du public sur la manière dont les autorités gèrent les manifestations publiques et maintiennent l'ordre. En pareille circonstance, le rôle de ʺ chien de garde ʺ assumé par les médias revêt une importance particulière en ce que leur présence garantit que les autorités pourront être amenées à répondre du comportement dont elles font preuve à l'égard des manifestants et du public en général, lorsqu'elle veille au maintien de l'ordre dans les grands rassemblements, notamment des méthodes employées pour contrôler ou disperser les manifestants ou maintenir l'ordre public. En conséquence, toute tentative d'éloigner des journalistes des lieux d'une manifestation doit être soumise à un contrôle strict. »

Ce n'est pas ce que prévoient les dispositions du schéma national de maintien de l'ordre qui, de plus, précise qu'un canal de référence pourrait être institué pour les personnes porteuses d'une carte de presse et accréditées. Cela divise la profession et oppose les détenteurs de la carte de presse en cours de validité aux autres journalistes. Pour quelles raisons faudrait-il être accrédité par la préfecture pour pouvoir se rendre à des manifestations dans le cadre de son travail ? Nous n'avons pas de réponse à ce sujet. Beaucoup de journalistes professionnels ne peuvent pas – souvent pour des raisons financières – avoir la carte de presse. La loi française n'impose pas à un journaliste de détenir une carte pour exercer son métier. M. Darmanin, interrogé sur ce point sur France Inter, avait dit que les plaintes et les signalements déposés seraient étudiés mais, depuis deux ans, nous n'avons aucune nouvelle. Nous avons appelé l'attention du Premier ministre et du Président de la République, mais nous n'avons obtenu aucune réponse.

La proposition de loi sur la sécurité globale est catastrophique. On souhaite interdire à notre profession de diffuser des photos ou des films des forces de l'ordre en action. C'est choquant. Il y a des caméras partout, des drones, des caméras de surveillance, les caméras de la police. Tout le monde pourrait filmer, sauf les journalistes ! Les exactions contre les journalistes sont le fait d'une petite minorité de policiers, mais malheureusement elles sont impunies depuis deux ans. Aujourd'hui, les premières décisions de justice sont enfin rendues et les policiers qui ont émis des procès-verbaux mensongers sous serment sont condamnés. Les vidéos et les photos permettent de témoigner de la réalité des faits. Comment fera-t-on si on n'a plus le droit constitutionnel de contrôler les actions des fonctionnaires de notre pays, rémunérés avec de l'argent public ?

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