Intervention de Benoît Muracciole

Réunion du mercredi 18 novembre 2020 à 17h00
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Benoît Muracciole, président de l'association Action sécurité éthique républicaines :

Les observateurs doivent absolument être protégés, mais c'est vrai aussi des citoyens et des représentants de la force publique : tout le monde doit être protégé. Lorsque j'ai été observateur dans une manifestation contre le sommet du G8 à Évian, je n'ai pas eu le sentiment de devoir être davantage protégé. Ce qui importe, c'est que, comme citoyen, je n'aie pas à subir une punition collective. Si quelqu'un, à côté de moi, lance un pavé aux forces de l'ordre, il faut que celles-ci réagissent à cet acte précis, sans s'en prendre aux personnes qui sont autour et qui viennent manifester pacifiquement – car l'immense majorité des gens manifeste pacifiquement. Le problème – et c'est une perversion de la montée aux extrêmes dans l'utilisation des moyens de violence –, c'est que, petit à petit, les gens finissent par se dire qu'il n'y a que la violence qui marche, qu'elle seule peut faire bouger les politiques et faire avancer la société. Or c'est une illusion terrible.

Les gouvernements, depuis les années 2000, ont abandonné la désescalade. L'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), créé par Pierre Joxe, était un lieu de réflexion transpartisan extrêmement intéressant, car il réunissait des gens de tous horizons qui réfléchissaient ensemble aux meilleurs moyens de garantir la sécurité des citoyens. Le commissaire principal qui faisait partie d'ASER avait coutume de dire que lorsqu'il est entré dans la police comme inspecteur, il y avait la police-secours : la police était là pour protéger les citoyens. Cette idée de protection, nous l'avons malheureusement perdue, à la fois pour les citoyens et pour les représentants des forces de l'ordre. Or c'est un tout.

Ce qui m'a frappé en écoutant l'audition de Mme Brigitte Jullien et du général Pidoux, c'est que l'un et l'autre ont tendance à être sur la défensive dès lors qu'on émet une critique. La critique est pourtant nécessaire pour maintenir la confiance, qui est nécessaire pour bâtir la légitimité. Sans légitimité, on va vers des affrontements de plus en plus forts.

C'est pour cela qu'ASER réfléchit depuis très longtemps aux moyens de créer un contrôle indépendant et externe de la force publique, en s'inspirant de l'expérience des pays nordiques. Il nous semblerait important que le Parlement prenne part à ce projet. On pourrait par exemple imaginer que la commission des Lois de l'Assemblée nationale et celle du Sénat désignent un collège de sept personnes. Au sein de notre ONG, certains souhaiteraient que des policiers ou des gendarmes en fassent partie – c'est mon cas – et d'autres, non : nous n'avons pas encore trouvé d'accord sur cette question. En tout cas, l'idée serait de réunir des gens de tous horizons : des juristes, mais aussi des représentants d'ONG et des chercheurs, car certains d'entre eux ont développé une réelle expertise sur la question de la violence depuis une dizaine d'années.

Ce collège engagerait des enquêteurs venant de la société civile, mais peut-être aussi de la police nationale et de la gendarmerie nationale, l'idée étant à la fois de bénéficier de leur expérience et de montrer qu'il ne s'agit pas d'opposer les uns aux autres. Il faut absolument restaurer la confiance de part et d'autre. Ce collège remplacerait l'IGPN et l'IGGN. Les enquêteurs produiraient des avis, qu'ils pourraient transmettre directement à l'autorité judiciaire : c'est à partir de ces enquêtes indépendantes que les juges prendraient leurs décisions.

Il y a quelques années, j'ai rencontré Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h, avec le ministre de l'Intérieur de l'époque, M. Bernard Cazeneuve, pour évoquer la situation de M. Maxime Beux, qui a perdu un œil à cause d'un tir de flash-ball. Là encore, c'est une histoire terrible, puisque l'accident est survenu alors qu'il sortait d'un match de football. Ce fut une discussion très intéressante, car chacun avait vraiment envie de comprendre le point de vue de l'autre. Nous lui avons montré une vidéo, dont elle n'avait pas connaissance. La question des films est vraiment très complexe : il y a des gens de bonne foi qui veulent qu'on reconnaisse leur travail et qui veulent défendre leurs collègues qui font bien leur travail, mais on a atteint un tel niveau de violence que certains policiers ont le sentiment d'être en guerre.

Nous pensons qu'il faut remplacer l'IGPN et l'IGGN par ce collège de sept personnes et par les enquêteurs qu'il embauchera. Petit à petit, il faudrait qu'ils soient assez nombreux pour entretenir un vrai dialogue avec nos concitoyens, même avec ceux qui ne sont pas directement concernés et qui n'ont pas de plainte à déposer. On pourra, ce faisant, construire une relation plus apaisée entre les forces de l'ordre et les citoyens. Je n'emploierai pas l'expression de « police de proximité », mais c'est un peu l'idée. Il est essentiel que les représentants de la force publique s'engagent avec les citoyens.

Je vis entre la Corse et le XVIIIe arrondissement : j'ai vu un policier traverser le marché Dejean la main sur son arme. C'est dire à quel point les policiers se sentent perdus ! On n'est pas loin du point de rupture. Votre commission d'enquête est une très bonne chose ; celle qui était présidée par Noël Mamère avait déjà fait avancer la réflexion. Nous regrettons seulement – je ne sais si c'est par manque de temps – que les syndicats CGT, VIGI et Sud Intérieur n'aient pas été auditionnés, car ils ont aussi une expertise tout à fait intéressante. En tout cas, il faut absolument mettre fin à cette spirale de violence.

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