Intervention de Frédéric Péchenard

Réunion du jeudi 26 novembre 2020 à 10h30
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Frédéric Péchenard, ancien directeur général de la police nationale :

L'inspection générale a été récemment mise en cause, certains demandant même son remplacement par une autorité administrative indépendante. De nombreux autres corps de métier disposent d'une inspection interne et cela ne pose aucun problème. Ces corps de métier refuseraient d'ailleurs une inspection interne qui ne soit pas majoritairement composée de personnes représentant leur corporation, comme c'est le cas pour l'Ordre des médecins ou le Conseil supérieur de magistrature.

L'IGPN a une double casquette. La première est administrative. L'IGPN est placée sous l'autorité du directeur général de la police nationale. En dehors du côté répressif administratif, l'IGPN réalise beaucoup d'audits et d'enquêtes à la demande du directeur général de la police nationale. Cela permet d'avoir une idée de ce qu'il se passe et d'améliorer les choses. De nombreuses informations remontent par l'IGPN. Cette inspection générale doit donc impérativement rester sous les ordres du directeur général de la police nationale, car il en a besoin pour exercer son métier.

L'autre casquette est judiciaire. L'Inspection générale de la police nationale est composée de cabinets d'audit, mais aussi de cabinets d'enquête où sont affectés des officiers de police judiciaire. Ceux-ci sont, rappelons-le, directement placés sous les ordres des magistrats soit du parquet en cas d'enquête préliminaire ou de flagrance, soit de juges d'instruction en cas d'ouverture d'une information. À ce moment-là, l'inspection générale ne dépend plus du directeur général de la police ou du ministre de l'Intérieur puisqu'elle est placée sous l'autorité des magistrats. Comme partout ailleurs, quand des magistrats donnent des instructions aux officiers de police judiciaire, ceux-ci les exécutent.

L'IGPN travaille sous l'autorité de la justice, de magistrats indépendants, en tout cas pour les juges d'instruction, et je ne pense pas qu'il existe d'autorité plus indépendante que celle de la justice dans notre pays. Il faut continuer à faire confiance à l'Inspection générale de la police nationale, sous l'autorité des magistrats, pour sanctionner, si besoin, les policiers.

Les conseils de discipline de la police sanctionnent beaucoup. Il y a en France 5 millions de fonctionnaires et 150 000 policiers. Chaque année, la moitié des sanctions administratives de la fonction publique concerne les policiers. Quand j'étais directeur général, on révoquait une centaine de policiers par an. On ne peut donc pas dire que la police protège ses brebis galeuses, bien au contraire. Les policiers conduits à passer devant un conseil de discipline ne le trouvent jamais trop mou ou agréable. L'IGPN est un outil indispensable et il faut conserver les choses en l'état.

Concernant le nouveau schéma national de maintien de l'ordre, nous avons des unités spécialisées dans ce domaine, dont le travail, la réflexion et l'entraînement sont tournés vers le maintien de l'ordre. Or, ces unités ne sont pas systématiquement employées, en tout cas pas en première ligne. Cela peut paraître curieux, mais les CRS et les gendarmes mobiles ont l'habitude de subir pendant de nombreuses heures des insultes, des coups, des lancers de boulons : ils y sont entraînés. C'est un métier très difficile. Ils sont préparés à agir systématiquement en groupes, en unités constituées, et cela permet d'avancer doucement, de reprendre possession du terrain progressivement, sans donner une impression de flou dans leurs déplacements.

A contrario, certaines équipes comme les brigades anti-criminalité (BAC) peuvent être engagées sur des opérations de maintien de l'ordre. Ce n'est pas une hérésie : ces personnes sont des volontaires formées et elles disposent d'une habilitation. Toutefois, leur métier de base n'est pas le maintien de l'ordre, mais l'interpellation en flagrant délit. Les gens des BAC ont l'habitude de travailler en groupe de trois ou quatre personnes, dans un voire deux véhicules, et ils procèdent à des interpellations. Ce n'est pas le même métier. Sur certaines manifestations, les BAC ont été employées systématiquement en première ligne et c'est une erreur tactique. Leur rôle pendant les manifestations devrait être de suivre puis d'interpeller les personnes situées à l'intérieur du cortège et qui commettent des exactions ou des vols.

Je recommande donc un emploi plus important en première ligne des unités de maintien de l'ordre. Elles ne sont pas aussi statiques qu'on le dit. Il existe ainsi, dans chaque compagnie républicaine de sécurité, une section spécialisée dans l'intervention. Certains CRS peuvent bloquer un passage ou protéger un immeuble public en tenant la position quoi qu'il arrive, tandis que d'autres CRS sont chargés d'interpeller, avec des techniques efficaces, au besoin en se déplaçant.

En ce qui concerne les armes, les policiers doivent en détenir pour se défendre. Ils exercent un métier très difficile et doivent rétablir l'ordre. Ils ont donc besoin d'être protégés et de pouvoir se défendre. Il est normal que les policiers disposent d'armes dites intermédiaires. Rappelons que les policiers, comme les gendarmes, sont tous porteurs, y compris en maintien de l'ordre, d'une arme à feu. C'est une arme létale qu'on emploie fort heureusement rarement. Il faut toutefois s'assurer que les policiers bénéficient de protections et d'armes intermédiaires.

Il ne faut toutefois pas hésiter à se poser des questions sur ce sujet. Les armes de défense intermédiaires doivent être certes efficaces, mais elles ne doivent pas causer de dommages irréversibles ou gravissimes. Ce point est important, notamment pour faciliter l'acceptabilité de l'intervention de la police par le plus grand nombre. Si l'on peut comprendre qu'une personne soit arrêtée, placée en garde à vue et condamnée parce qu'elle a été surprise en train de casser, de mettre le feu ou de jeter des boulons, personne ne peut en revanche admettre qu'un œil soit crevé au cours d'une manifestation. Les responsables politiques et les policiers doivent se pencher sur l'existence de ces armes intermédiaires et faire une balance précise entre l'efficacité nécessaire de ces armes et leur dangerosité. Certaines choses ne sont pas acceptables et il faut donc savoir faire évoluer l'équipement des policiers.

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