Intervention de Frédéric Péchenard

Réunion du jeudi 26 novembre 2020 à 10h30
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Frédéric Péchenard, ancien directeur général de la police nationale :

Depuis mon entrée dans la police, en 1981, j'ai suivi les sondages annuels destinés à évaluer la confiance des Français dans leur police. Le dernier a été réalisé il y a quelques semaines seulement. Depuis toutes ces années, le pourcentage de satisfaction, de reconnaissance, de confiance à l'égard de la police et de la gendarmerie oscille entre 75 % et 88 %. Seule l'armée bénéficie d'un pourcentage supérieur. Les Français ont donc plus confiance dans la police que dans n'importe quel autre corps de métier, à l'exception des militaires. Seul un petit nombre de personnes déteste la police et la majorité des Français soutient la police et la gendarmerie.

J'ai été très frappé par plusieurs slogans aussi désagréables qu'absurdes. Je pense à « tout le monde déteste la police » mais aussi à celui entendu en mai 1968 : « CRS SS ». Lors du mouvement des Gilets jaunes, j'en ai entendu un autre, plus ignoble encore : « Suicidez-vous ! ». La police est un des métiers où l'on observe le plus de suicides, et l'année dernière a été une année noire, marquée par un taux record de suicides. Lorsque j'étais DGPN, j'avais fait réaliser par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) un travail remarquable sur ce sujet. La police n'est pas l'exact reflet d'une société – il y a plus d'hommes que de femmes, moins de jeunes, moins de personnes âgées, etc. – mais il avait été constaté que l'on se suicidait davantage dans la police que dans le reste de la population. Cela veut bien dire qu'être policier est un métier difficile. Entendre des manifestants crier « suicidez-vous ! » m'a donc profondément blessé.

Je vous rappelle que l'emploi de la force par la police est légitime. Quand vous interpellez quelqu'un qui ne se laisse pas faire, vous procédez alors à une interpellation de vive force. Si on vous porte des coups, vous pouvez alors répondre en portant des coups, puis mettre la personne au sol avant de la menotter. Lorsque j'étais jeune commissaire dans des services d'intervention, j'ai passé beaucoup de temps dans la rue et procédé à de nombreuses interpellations. Parfois, ces interpellations se passent très bien, parfois mal, voire très mal. Ce n'est pas de la faute de la police, mais de la personne interpellée. Si celle-ci se laisse faire – ce qui est le minimum que l'on puisse attendre d'un citoyen –, il n'y a pas de violence. En revanche, si la personne se débat et porte des coups aux policiers alors, bien évidemment, il y aura une réaction car force doit rester à la loi.

Dans le 17e arrondissement où j'habite et suis élu, j'ai observé des scènes de guérilla. Je n'avais jamais vu ça : des voitures en flammes rue de Prony, la rue de Courcelles intégralement dévastée. Je regrette que la police n'ait pas été plus vigoureuse pour empêcher cela. Il y a donc le ressenti des manifestants, mais aussi celui de l'immense majorité des gens qui, de leurs fenêtres, voient leurs voitures brûler ou les carreaux être cassés. Malheureusement, selon la vieille expression du dictionnaire des idées reçues, la police a toujours tort.

L'année dernière, j'ai écrit un livre, Lettre à un jeune flic. À cette occasion, j'ai rencontré des jeunes policiers, des jeunes gardiens de la paix, des jeunes officiers, des jeunes commissaires. Je les ai trouvés très bien, tant au niveau intellectuel qu'en matière de respect de la société, de déontologie et d'enthousiasme républicain. Ils sont encore mieux que nous l'étions au même âge.

Je constate une montée de la violence et des tensions. Je crois que nous sommes entrés en France, et ailleurs dans le monde, dans un cycle de violence. Dans une société, il y a des cycles de tranquillité et des cycles de violence. Ma génération a eu la chance, en France, de ne connaître aucune guerre. Mon grand-père a fait la guerre de 1914 puis a été rappelé en 1939. Mon père avait l'âge pour partir à la guerre d'Algérie. Mais aujourd'hui, combien d'élus, de personnes au pouvoir dans les entreprises ont connu une guerre et ces moments extrêmement durs ? Très peu.

J'avais coutume de dire que la France était un pays de moins en moins violent, citant en exemple le nombre des homicides. C'est un item intéressant, car ce sont les faits de violence les plus graves, et il n'y a pas de chiffres noirs à ce sujet. En France, entre 1990 et 2012, soit moins d'un quart de siècle, le nombre d'homicides a diminué de moitié.

Malheureusement, depuis 2014, les choses ont changé. C'est à partir de cette date que les homicides en France ont commencé à réaugmenter d'année en année. Certains l'expliquent par le terrorisme. Moi, je pense que le terrorisme est une manifestation de la violence. De plus, même en ôtant le nombre de morts liés au terrorisme, on constate une augmentation des homicides en France. Il semblerait que ce phénomène touche également d'autres pays, notamment l'Allemagne ou la Grande-Bretagne. Objectivement, depuis 2014, nous sommes entrés dans un cycle où les violences sont plus importantes.

Je vous invite à prendre connaissance du travail remarquable réalisé la Fondation pour l'innovation politique (FONDAPOL). Il retrace quarante ans de terrorisme islamiste de 1979 à 2019. FONDAPOL a étudié tous les attentats terroristes islamistes survenus dans le monde depuis le début de la guerre entre l'Afghanistan et l'URSS, considérée comme la matrice du djihad moderne. Pendant ces quarante années, il y a eu 33 000 attentats. Ils ont causé dans le monde entier 167 000 morts, mais c'est pendant ces six dernières années que les deux tiers des attentats et les trois quarts des morts sont survenus. Soudain, depuis 2014, le terrorisme dans le monde, et particulièrement en France, a augmenté de manière significative. Les actes de terrorisme, dont l'objectif est de nous impressionner, nous ont particulièrement affectés. Lorsque j'étais directeur général de la police, pendant cinq ans, hormis l'affaire Mohammed Merah en 2012, le terrorisme islamiste nous a frappés exclusivement à l'extérieur de nos frontières, notamment en Afrique. Depuis 2014, chaque mois, nous avons été frappés sur notre sol, de manière récurrente et violente.

À ces difficultés se greffent les crises. La crise sanitaire actuelle débouchera probablement sur une crise économique très dure et donc sur une crise sociale vraisemblablement plus forte que celle qui fut à l'origine du mouvement des Gilets jaunes. Les mois à venir ne seront pas faciles. Il y aura également certainement une crise sécuritaire. Bien qu'il faille les prendre avec précaution et avec recul, les chiffres de la police sont mauvais. La libération massive de détenus – 14 000 détenus ont été libérés, soit 20 % des détenus – n'a pas amélioré la situation.

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