Intervention de Laurent Nuñez

Réunion du mercredi 2 décembre 2020 à 17h30
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Laurent Nuñez, ancien secrétaire d'État auprès du ministre de l'Intérieur, coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme :

Votre première question est fondamentale et vous donnez vous-même des éléments de réponse. Certains effectifs sont spécialisés dans le maintien de l'ordre, dont c'est le métier : ce sont les compagnies républicaines de sécurité, les escadrons de gendarmerie mobile (EGM) et les compagnies d'intervention de la préfecture de police, les fameuses CI, qui ont été mises à contribution samedi dernier et dont plusieurs membres ont été blessés.

Il faut regarder la réalité en face. Pendant le mouvement des Gilets jaunes, il est arrivé, certains samedis, que des manifestations aient lieu en de très nombreux points du territoire national. Ce n'étaient pas des regroupements massifs, mais il y en avait un peu partout. Il n'était évidemment pas possible de déployer des CRS et des EGM sur l'ensemble du territoire.

Par ailleurs, de plus en plus de manifestations ne sont pas déclarées et ont lieu de façon spontanée, à Paris et ailleurs. Lorsque cela se produit, les effectifs spécialisés dans le maintien de l'ordre public ne sont pas toujours disponibles. Pourtant, force doit toujours rester à la loi et à l'ordre républicain : garantir l'ordre républicain, c'est l'engagement que prennent tous les ministres de l'Intérieur. Il faut donc bien réagir aux manifestations qui se déroulent en des points du territoire où ne sont déployés ni CRS, ni EGM, ou à des moments de la journée où ces effectifs ne sont pas présents.

Pendant le mouvement des Gilets jaunes, des effectifs de police ou de gendarmerie généralistes, plutôt en charge habituellement de la sécurité publique, ont été engagés dans des opérations de maintien de l'ordre. Du reste, c'est ce qui arrive tous les jours en France quand des manifestations spontanées ont lieu. Cela pose évidemment la question de la formation de ces effectifs, et le schéma national prévoit qu'ils soient formés à la gestion du maintien de l'ordre. Cela pose également la question de leur équipement : on ne fait pas du maintien de l'ordre comme on fait du contrôle routier ; il faut un casque, parfois un bouclier.

Le maintien de l'ordre ne sera jamais l'apanage des forces spécialisées : ce serait souhaitable, mais c'est impossible. Le ministre de l'Intérieur a certes annoncé que les CRS, les EGM et les compagnies d'intervention allaient voir leurs effectifs renforcés, mais il serait illusoire de croire que ce sera le cas partout. C'est pourquoi il faut faire un effort de formation au maintien de l'ordre pour l'ensemble des effectifs de police et de gendarmerie. Comparaison n'est pas raison, mais cela me fait penser à une autre formation très généraliste qui a été dispensée à l'ensemble des forces de l'ordre. Lorsque la France a été frappée par les attentats en 2015, on s'est aperçu d'une chose dont vous avez parfaitement connaissance, monsieur le président, en tant qu'ancien chef du RAID : lorsqu'une attaque terroriste a lieu, les primo-intervenants sont souvent des gendarmes ou des policiers, appelés sur place par une personne qui a entendu des coups de feu et qui a composé le 17. Après ces attentats, on a déployé un schéma national d'intervention, afin que l'ensemble des effectifs soient formés et capables d'agir en cas d'attaque terroriste. Cela n'a rien à voir avec le maintien de l'ordre, mais cet exemple montre qu'il est possible de déployer un dispositif de formation au plan national. Il reste que le maintien de l'ordre doit demeurer, autant que possible, le fait d'unités spécialisées. Lors des événements du Puy-en-Velay, ce sont des effectifs de gendarmerie et de police qui sont allés protéger la préfecture et assurer le maintien de l'ordre, sans forcément faire partie des forces spécialisées.

J'en viens à la question de la judiciarisation. Celle-ci ne bride certainement pas le droit de manifester. Elle s'organise sur le terrain : le schéma national du maintien de l'ordre incite les préfets et les procureurs à constituer des équipes spécialisées dans la judiciarisation, qui ont vocation à être présentes sur le terrain, au plus près de l'action, pour constater des infractions et interpeller des individus qui, souvent, sont jugés en comparution immédiate. Loin de brider la liberté de manifester, la judiciarisation permet, lorsque des violences sont commises, de procéder à des interpellations, soit en flagrant délit, soit au terme d'investigations menées a posteriori. Je suis évidemment très favorable à la judiciarisation car le maintien de l'ordre public consiste à la fois, je le rappelle, à garantir la sécurité des cortèges et à traduire devant la justice ceux qui se sont rendus coupables de violences ou de dégradations. Ce qui est judiciarisé, ce n'est pas l'expression d'une opinion, fort heureusement, mais la commission d'infractions.

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