Monsieur le secrétaire d'État, nous sommes heureux de vous entendre. Je tiens à rappeler que l'objectif de cette commission d'enquête n'est pas de mettre en cause qui que ce soit, car nous savons combien l'organisation du maintien de l'ordre est une question délicate. Nous avons bien conscience que les forces de l'ordre sont les gardiennes de la sécurité de tous pour assurer la liberté de chacun. L'objectif de nos auditions, et du rapport qui en découlera, c'est, à notre modeste niveau, de faire des propositions. L'actualité a conduit le ministre à s'emparer de ce sujet, si bien que certaines des propositions auxquelles nous travaillons depuis plusieurs mois peuvent se trouver court-circuitées. Mais l'essentiel, après tout, c'est que les choses avancent.
J'aimerais vous faire part d'une réflexion au sujet du niveau de violence des manifestations. J'ai soixante-trois ans, j'ai commencé à manifester à l'âge de quinze ans, en 1972 ou 1973. Dans les années qui ont suivi, j'ai le souvenir de manifestations violentes : c'était l'époque des anarchistes et du mouvement autonome, dont une partie a donné naissance à Action directe. Cela amène à nuancer l'idée selon laquelle quelque chose de nouveau serait en train de se produire.
Ce qui a peut-être changé, c'est la fréquence des manifestations : ces derniers mois, il y en a eu, peut-être pas tous les jours, mais presque, à l'échelle du territoire national. Auparavant, il y avait quelques grandes manifestations, comme celles des sidérurgistes, dont certaines dégénéraient. La multiplication actuelle des manifestations créée des difficultés spécifiques, puisque les forces de l'ordre sont épuisées. Mais, s'agissant de la nature même de la violence, je ne sais pas s'il y a une vraie différence avec ce qui se passait dans les années 1970. La violence existait, et la réponse à cette violence n'était pas exactement la même. Quoique… On se ramassait aussi des coups de matraque, il y a quarante-cinq ans !
Après cette réflexion générale, à laquelle vous pourrez peut-être réagir, j'en viens à mes questions. J'aimerais connaître, d'abord, le rôle du ministre de l'Intérieur, ou du secrétaire d'État que vous étiez, dans l'organisation des opérations du maintien de l'ordre. Pouvez-vous préciser le rôle qui a été le vôtre lors des différents actes des Gilets jaunes ? Le ministre donne-t-il des ordres, ou bien supervise-t-il les choses, d'une façon plus globale ?
Vous dénoncez les modes opératoires des blacks blocs, des ultra-jaunes et, globalement, des extrémistes, de droite comme de gauche. Comment expliquez-vous que les autorités n'arrivent pas à résoudre le problème que pose la présence dans les cortèges de ces individus organisés et très violents qui, je le crois – ou du moins, je l'espère –, sont connus des services de police et de renseignement ? Comment se fait-il que l'on ne puisse pas, dans le contexte de judiciarisation que vous avez décrit, retrouver ces individus et les empêcher de nuire, pour quelque temps au moins ? Je vous le demande, parce qu'on a l'impression de voir toujours les mêmes.
Vous dites aussi que la diffusion d'images sur les réseaux sociaux donne une caisse de résonance aux casseurs, et je vous rejoins volontiers. Une voiture qui brûle filmée en gros plan et dont l'image tourne en boucle pendant des heures peut donner le sentiment que Paris est en train de brûler, ce qui laisse une mauvaise impression dans l'opinion. Que les images mettent en cause des manifestants ou des représentants des forces de l'ordre ne change rien à cette impression.
Que pensez-vous, enfin, de ce que nous dit le Défenseur des droits sur le recours à certaines pratiques policières ? Quand on discute avec le Défenseur des droits, avec des parlementaires, avec d'autres élus ou avec des responsables syndicaux, des critiques sont formulées et on a parfois l'impression qu'elles le sont en pure perte. Comment vivez-vous cela ?