Intervention de Thierry Queffelec

Réunion du mercredi 5 mai 2021 à 15h00
Commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en guyane

Thierry Queffelec, préfet de Guyane :

La lutte contre l'orpaillage illégal s'inscrit dans le quotidien du préfet comme du reste de la population de Guyane. L'or, parfois négativement perçu par la population, joue toutefois un rôle stratégique dans les nouvelles technologies, l'industrie spatiale, la joaillerie et les banques d'État. La stratégie d'affaiblissement des garimpeiros, qui apparaissent moins comme des soldats armés que comme de simples exploitants miniers, consiste d'abord à enrayer la logistique de support à leur activité.

On dénombre environ 500 sites clandestins, dont 150 sites primaires souterrains, mal connus mais en expansion, et 300 à 400 sites alluvionnaires, dont l'activité fluctue au rythme des saisons. Les barges fluviales ont quant à elles pratiquement disparu.

Malgré les efforts consentis, et les investissements financiers des différents ministères, l'orpaillage illégal se poursuit : il permettrait d'extraire jusqu'à 10,5 tonnes d'or, contre une tonne et demie pour l'orpaillage légal. Le cours de l'or, même lorsqu'il baisse à 1 800 dollars l'once, explique l'attractivité de cette activité.

À peu près 8 000 à 8 500 garimpeiros, selon l'Observatoire de l'activité minière (OAM) et la gendarmerie, s'imposent clandestinement dans notre département. Ils appartiennent à une communauté de 200 000 à 220 000 chercheurs d'or brésiliens, estimant plus « agréable » d'avoir affaire à la police et à la justice française qu'à celles de leur pays. Il leur est relativement aisé d'exercer leur activité sur notre territoire. Groupés autour de plateaux, ils appréhendent mal la notion de frontière. Bien sûr, ils ne s'intéressent aux lois françaises qu'une fois appréhendés par les autorités et bafouent les réglementations environnementales.

Notons que l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) comptabilise les garimpeiros en tant qu'habitants potentiels lors des recensements sur lesquels se fonde la dotation globale de fonctionnement des communes. Leur présence, reconnue, est ainsi quantifiée dans la charge des mairies.

Bien que leur nombre, stable, fluctue entre 7 000 à 10 000 individus, leur activité a augmenté de 25 % depuis 2020. L'appréciation de l'or et sa vente sur le marché international garantissent la rentabilité de l'orpaillage, malgré les attaques répétées par les forces de l'ordre des flux logistiques qui alimentent les chantiers, lesquels font dans l'ensemble preuve de résilience.

La plupart des garimpeiros, issus d'un milieu rural, sont célibataires. Ils travaillent sur les sites en tant que journaliers pour amasser un pécule en un minimum de temps. Ils cèdent ensuite la place à d'autres, souvent membres de leur parentèle éloignée ou originaires du même village. Leur objectif consiste à installer leur famille sur des terres agricoles qu'ils ambitionnent d'acheter, dans le cadre d'une culture de secours, que l'on peut qualifier d'humanitaire, malgré les maux qu'elle occasionne en territoire français.

Des trafics se déroulent de part et d'autre des 1 500 kilomètres de frontières maritimes et fluviales. Les garimpeiros exploitent principalement des sites aurifères déjà repérés.

Les dégâts économiques et financiers dus à l'orpaillage illégal se conjuguent à des problèmes politiques, juridiques et environnementaux. L'extraction clandestine de l'or recourt à du mercure, déversé dans la nature, alors que la cyanuration se cantonne aux sites légaux. Le mercure, pourtant interdit à la vente, sature les écosystèmes, dont il détruit la biodiversité. Il finit, à travers la chaîne alimentaire, par contaminer l'homme, via les produits de la pêche.

Nous menons un important travail sur la santé de la population. Au premier trimestre 2021 a été lancée la Stratégie métaux lourds (Stramélo). Beaucoup de jeunes amérindiennes souffrent, lors de grossesses, parfois précoces, de pathologies liées à l'absorption de mercure.

L'extraction d'or alluvionnaire détruit la biodiversité par l'abattage d'arbres et la modification du cours des rivières. Bien sûr, une fois leur tâche accomplie, les orpailleurs ne remédient pas aux dégâts environnementaux qu'ils ont causés.

Les sites primaires se fondent dans la forêt. En termes de génie civil, les garimpeiros font un assez bon travail, utilisant du bois récupéré sur place pour consolider leurs installations. Forts d'une certaine expertise, ils récupèrent souvent des madriers pour creuser ailleurs, à des profondeurs limitées.

Il en résulte une gêne sociale pour la population guyanaise, spoliée de la richesse de son sol. Celle-ci transite par des réseaux impliquant des magasins chinois de l'autre côté de la frontière.

Les conséquences de l'orpaillage illégal sur l'environnement, quoique visibles, peuvent être réparées.

L'argent volé à la Guyane, s'il était utilisé à des fins stratégiques, bénéficierait à la population en favorisant le développement d'infrastructures.

En tant que préfet, je suis responsable, avec le procureur, de l'action du gouvernement contre l'orpaillage illégal, que suivent de près des comités stratégiques et techniques, devant lesquels nous rendons chaque semaine des comptes.

Les forces armées consacrent à la lutte contre l'orpaillage illégal environ 55 millions d'euros, la gendarmerie 12 millions d'euros, le parc amazonien de Guyane 1 million d'euros, les services de l'État outre-mer 1 million d'euros aussi, l'Office national des forêts (ONF) 500 000 euros, la police aux frontières, les douanes et l'Office français de la biodiversité (OFB) moins de 100 000 euros chacun. Or cette lutte ne rapporte que 4 à 5 kg d'or. C'est donc toute une masse de richesses qui disparaît via l'extraction de l'or, dont les bénéficiaires ne respectent pas l'environnement et menacent la santé de la population autochtone.

L'État consent à un important investissement dans sa politique de contrôle, sans laquelle la situation empirerait encore, malgré son manque de rentabilité en termes de comptabilité pure. Les efforts de l'État, quoiqu'ils maintiennent sous pression les garimpeiros et leurs soutiens logistiques, ne témoignent pas de toute l'efficacité souhaitable.

L'impression en reste que le travail des autorités, quoiqu'assez bien mené, manque de succès visibles à même de démontrer l'utilité des dépenses d'argent public qu'il suppose.

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