Intervention de Thierry Queffelec

Réunion du mercredi 5 mai 2021 à 15h00
Commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en guyane

Thierry Queffelec, préfet de Guyane :

Un observatoire me communique des données quantitatives. Dès mon entrée en fonction en décembre 2020, j'ai souhaité que l'Agence régionale de santé (ARS) rejoigne au premier trimestre 2021 le dispositif interministériel Stramélo. Les populations amérindiennes se répartissent en deux groupes d'environ 1 800 personnes chacun. Elles se contentent des ressources que leur fournit le territoire, selon un mode de vie différent du nôtre, quoiqu'il tende à s'occidentaliser par l'éducation, tant scolaire qu'à la santé. La mobilisation des moyens sanitaires de l'ARS relevait selon moi de l'urgence.

Le premier axe de la Stramélo consiste à recenser les bassins pollués pour y imposer des interdictions dans une logique d'accompagnement des populations autochtones. Je compte par ailleurs interdire, avant la fin du premier semestre 2021, le plomb de chasse. De nombreuses traces de ce métal, non moins nocif que le mercure, se décèlent parmi ces populations amérindiennes.

L'intégration de l'ARS à Stramélo devrait, sous peu, nous donner les moyens de suivre la conduite et la santé de jeunes femmes enceintes, tout comme d'une frange plus âgée de la population, souffrant de pathologies liées au mercure ou au plomb, qui se traduisent par des troubles psychiatriques ou des dérèglements hormonaux. Un premier rapport devrait être rendu avant la fin de l'année, même si les centres de coordination de santé qui maillent le territoire collectent déjà des données.

D'un point de vue tactique, ma mission consiste à faire exécuter la loi et veiller à l'ordre public, ce qui passe en grande partie par la maîtrise de l'espace aérien. J'ai commencé à développer, avec les ministères concernés, l'équipement en drones de la Guyane, département de la taille de la région Nouvelle-Aquitaine. Seul l'État est en mesure de se doter de tels outils de renseignement et de surveillance. L'organisation rapide d'un cluster drone facilitera le repérage du terrain, notamment par les forces armées. Nous allons lancer un appel à manifestation d'intérêt. Certaines sociétés m'ont déjà contacté. Des outils de l'aérospatiale qui ne sont pas encore disponibles sur le reste du territoire pourraient en outre être mobilisés rapidement.

L'État dispose d'un grand nombre d'hélicoptères, mais très peu volent, en raison des difficultés que pose la maintenance de ces appareils vieillissants. Il faudrait peut-être les remplacer par une gamme rénovée, sous une responsabilité interministérielle. Les armées s'appuient sur leurs propres hélicoptères lourds tandis que les forces de l'ordre et la gendarmerie recourent à des appareils de transport de personnel, auxquels s'ajoutent des appareils de la gamme privée. Tous ne possèdent malheureusement pas un rayon d'action suffisant.

Il faudrait à mon sens que, dans le cadre de l'ambitieuse réforme d'Organisation des services de l'État (OSE), je puisse, en tant que préfet, disposer d'hélicoptères de la gamme « 12 tonnes », type NH 90, Caracal, appartenant à l'État et non aux armées, dont il m'appartiendrait de décider la répartition.

Il ne faut pas considérer le garimpeiro comme un adversaire ou un ennemi, mais simplement comme une personne en situation illégale. Lors de son arrestation par des militaires assistés d'un Officier de police judiciaire (OPJ), un hélicoptère pourrait amener rapidement celui-ci, hors de la forêt, aux autorités judiciaires, dans le cadre de sa garde à vue.

La loi, amenée à évoluer, permet certes de remédier aux difficultés de transport dans la jungle amazonienne en autorisant le report du départ des gardes à vue. Toutefois, l'application uniforme du droit en France complique la situation. Des outils aériens permettant de se positionner rapidement sur le terrain rendraient les forces de l'État plus réactives. À ce jour, la mobilisation de l'antenne du GIGN en Guyane nécessite des ballets aériens et des planifications avec les services de maintenance d'une extrême complexité. Elle ne donne que de maigres résultats.

Les armées pourraient assurer le pilotage et l'entretien de ces hélicoptères d'État, employés par différents ministères.

D'un point de vue stratégique, il me semble que, faute de pouvoir tenir le terrain, il faut au moins l'occuper en développant l'orpaillage légal amélioré. Évidemment, il est hors de question d'établir des structures minières comme le projet Montagne d'or, auquel s'oppose d'ailleurs l'État. La Guyane, au soixante-septième rang des producteurs d'or mondiaux, devrait s'approcher de la position de la Colombie, du Guyana ou du Suriname, qui produisent de 20 à 42 tonnes d'or par an.

La France a l'avantage de disposer d'ingénieurs des mines. Nous pourrions imaginer la création d'entreprises pilotées par l'État avant leur rétrocession dans le cadre d'accords de sociétés d'exploitation mixte. Elles emploieraient du personnel sur le terrain et se développeraient dans des lieux de rencontre et de vie. Certains villages de Guyane ont vu le jour grâce à l'exploitation aurifère, comme au Canada. Deux régiments d'infanterie et deux escadrons de gendarmerie pourraient fournir la structure étatique nécessaire. Il faudra bien sûr maîtriser l'industrie aurifère. Le ministre des Outre-mer, M. Lecornu, a en tout cas suggéré cette possibilité. La mission de M. Bernard Larrouturou doit étudier les moyens de développer l'orpaillage légal de manière durable et à taille humaine.

Instaurer des communes sur l'immense territoire du département permettrait d'occuper le terrain en y repoussant des installations précaires.

La Guyane connaît un taux natalité de 3,48 %, ce qui signifie que, dans dix ans, 150 000 nouveaux habitants y auront vu le jour. Le secteur minier pourrait constituer un débouché pour la jeunesse, à l'instar du secteur primaire (agriculture et pêche), dont il faudrait également promouvoir le développement.

La poussée démographique touche surtout le secteur du Maroni. La population de Maripasoula est appelée à augmenter. L'État devra y organiser le développement économique d'entreprises à taille humaine, en nettoyant dans un premier temps les positions abandonnées par les garimpeiros, pour remédier aux atteintes à l'environnement, avant de les ouvrir à la biodiversité. Déjà, certaines communes accueillent des équipes de recherche du CNRS. La mise en place de plateformes de vie, futures petites villes, devrait prendre entre dix et quinze ans, dans le respect du plan d'aménagement général (PAG). Elle permettrait de se débarrasser de ces garimpeiros qui rentabilisent tout de même une douzaine de tonnes d'or extrait de manière artisanale.

Une telle stratégie nécessiterait un accord politique interne global. La présence de l'État doit se renforcer vers le Maroni, où je ne dispose que d'un sous-préfet d'arrondissement parmi les sept en poste dans le département. L'organisation de l'État doit revoir son positionnement pour éviter une excessive concentration des services à Cayenne.

En somme, la nécessaire réforme de la présence de l'État et de l'application de la loi doit se conjuguer à une réforme industrielle. La cyanuration, qui n'est pas interdite, m'a paru assez bien maîtrisée dans les usines que j'ai visitées. Naturellement l'État devra contrôler de telles entreprises Seveso.

Si l'État ne prend aucune décision, alors il faudra du moins qu'il s'équipe d'hélicoptères et de drones afin de réagir plus vite et de frapper là où il est possible de le faire. Trop souvent, le temps que les forces se déplacent, elles parviennent sur des sites déjà évacués.

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