Intervention de Frédéric Mortier

Réunion du mercredi 12 mai 2021 à 16h30
Commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en guyane

Frédéric Mortier, délégué interministériel à la prévention des risques Outre-mer :

Je m'exprimerai ici en tant que simple passeur d'information. J'ai déjà eu l'occasion d'échanger avec M. Serville en tant que premier directeur du parc amazonien de Guyane, de septembre 2007 à janvier 2014.

Dans mon poste actuel, j'ai travaillé sur des propositions de mesures législatives, issues de retours d'expérience, que le Président et le Premier ministre ont soumises à une consultation territoriale. Le Premier ministre désirait que celle-ci offre un espace de libre expression, dont les Guyanais ont profité pour aborder l'orpaillage illégal, alors même que le sujet n'entrait pas dans le champ des risques naturels. Je vous ai retranscrit dans la note que je vous ai communiquée leurs propositions constructives.

L'orpaillage illégal pose un enjeu de souveraineté nationale mais aussi de protection des populations, des ressources et des écosystèmes. Catastrophe économique, écologique et sociétale, il génère de la violence et des trafics. Il engage la responsabilité de la France en Amazonie, notamment vis-à-vis des Amérindiens, à la visibilité manifeste sur la scène internationale. Leur désarroi et leur souffrance méritent une attention particulière.

Le dispositif Harpie a été lancé par le Président de la République sur le vaste territoire, habité, du parc amazonien, en signe d'une volonté forte de mener une lutte efficace contre l'orpaillage illégal à l'échelle de la Guyane. L'Elysée a souhaité que nous travaillions en relation étroite avec l'ensemble des acteurs de cette lutte. J'ai ainsi été en contact avec le concepteur du dispositif Harpie, le général Vicaire, commandant de la gendarmerie outre-mer, de même qu'avec les Forces armées en Guyane (FAG) et l'état-major des armées, sans oublier les préfets et les procureurs, au rôle crucial.

Avant le lancement de l'opération Harpie, l'orpaillage illégal connaissait une progression exponentielle, due au cours élevé de l'or et au sentiment d'impunité des garimpeiros. Un premier palier a été atteint en décembre 2008, avec une stabilisation de l'orpaillage illégal sur le territoire du parc national. Le nombre de chantiers clandestins a ensuite fortement reculé jusqu'en mars 2012. Il n'en restait alors plus que 52 à 55 en activité dans le parc amazonien.

Ces résultats viennent des dispositions prises dans le cadre d'une stratégie à l'échelle du département. Les interventions, menées à l'aide de moyens renforcés, portaient en priorité sur des bassins de vie et les espaces naturels protégés. Le partage d'expérience entre nos partenaires, forts, chacun, de leurs propres cultures, a donné lieu à une mutualisation des bonnes pratiques. Des leçons ont été tirées des interventions, réussies ou non.

La relève des personnels (gendarmes mobiles et militaires) présentait un enjeu. Notre travail en commun obéissait à une logique de complémentarité, dans une démarche d'amélioration continue. Préfet et procureur exerçaient une gouvernance territoriale active. Les parties prenantes s'accordaient sur les objectifs à atteindre, établis en toute transparence, avant de cibler des sites précis et de définir des modalités opérationnelles. La force de notre stratégie reposait sur sa co-construction. Son pilotage par le Président de la République, qui en assurait le suivi, a par ailleurs impulsé ses orientations et assuré la mobilisation de moyens dans un contexte où ceux-ci se heurtaient cependant à des limites.

En conclusion, j'ai noté une volonté forte, au plus haut niveau de l'État, de juguler, dans la durée, l'orpaillage illégal. La communication aux instances d'un diagnostic objectif et partagé a facilité la prise de décisions. Notre stratégie commune de concentration des efforts sur les flux logistiques afin d'occuper le terrain, malgré les difficultés, a bénéficié aux populations et aux aires protégées. La culture du résultat qui s'est imposée s'intéressait surtout aux conséquences pour les habitants et les écosystèmes. Une dynamique de recherche d'efficience portait notre lutte.

Je ne saurais témoigner de ce qui a suivi mon départ du parc de Guyane, ne m'impliquant plus dans la lutte contre l'orpaillage illégal depuis sept ans. Je n'ai pas non plus de jugement de valeur à porter sur ce sujet, qui a surgi dans le cadre de mes fonctions interministérielles à l'occasion des consultations territoriales.

Les points clés de ces consultations portaient sur l'importance d'évaluer cette lutte, d'informer la population, qui ne le semblait pas assez, des moyens mis en œuvre, et d'établir une feuille de route avec des priorités, sans oublier la nécessité de caractériser le préjudice causé par l'orpaillage illégal dans sa globalité, tant à l'échelle du département que de la France.

Il me semble nécessaire de renforcer le pilotage transversal interministériel des actions menées sur le territoire. En 2018 a été instauré l'État-major de lutte contre l'orpaillage et la pêche illicites (EMOPI). Les consultations territoriales ont révélé le souhait de renforcer la capacité de coordination de ses acteurs par la définition d'objectifs stratégiques et la mise en place d'une task force à même d'intégrer à la lutte l'ensemble des parties prenantes.

La population a par ailleurs manifesté le désir de débarrasser des orpailleurs clandestins les bassins de vie et les zones protégées, et de consolider la stratégie d'entrave aux flux logistiques. D'autres propositions évoquaient des équipes préposées aux interventions en forêt, une réglementation et un traçage du carburant, des frappes légères sur des sites en cours d'installation, et une réflexion sur les règles d'engagement.

Les forces en présence ne mènent pas sur le territoire de la Guyane des opérations de guerre mais respectent des procédures judiciaires. Si le partage d'expérience semble en mesure d'améliorer l'efficacité de la lutte, il faudrait surtout mettre en adéquation les objectifs et les moyens pour obtenir des résultats à la hauteur des enjeux.

L'ouverture à l'innovation doit permettre de s'adapter à un adversaire robuste, agile et ingénieux, quitte à en passer par une remise en question. Il a déjà fallu, par le passé, abandonner des certitudes. Il apparaît important aussi de développer le volet judiciaire répressif et de favoriser l'appropriation locale des enjeux. La lutte contre l'orpaillage illégal est souvent perçue comme relevant de la responsabilité de l'État, tenu de rendre des comptes, or la population estime indispensable une mobilisation collective des élus et des autres acteurs.

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