Monsieur le président, madame la rapporteure, pour commencer, je souhaiterais évoquer l'intituler de la commission d'enquête. Je me réjouis que l'Assemblée nationale se penche sur ce sujet important. Je souhaiterais néanmoins insister sur la capacité d'adaptation de l'administration pénitentiaire, ainsi que sur sa capacité à faire face. Je commencerai par ce premier point, puis me tiendrais à votre disposition pour répondre à l'ensemble de vos questions. Je vous transmettrai par ailleurs l'intégralité des documents demandés.
Tout d'abord, il est important de rappeler que l'administration pénitentiaire est l'une des administrations qui a le plus évolué en l'espace d'une génération. La prison a toujours été une institution sociale et elle a grandement évolué. Je prendrais quelques exemples pour illustrer cette évolution.
Le premier exemple concerne le rapport au droit. Lorsque j'ai débuté ma carrière, le droit en prison n'existait pas. Ce n'est plus le cas à l'heure actuelle. La prison est devenue un lieu de droit et les détenus ont un nombre considérable de droits à faire valoir. Les conditions d'exercice peuvent parfois poser difficulté. Dans ce cas les détenus peuvent recourir aux tribunaux et ils ne s'en privent pas, ce qui est une excellente chose.
Le deuxième exemple porte sur le développement du milieu ouvert. Il y a quarante ans, prison et administration pénitentiaire étaient synonymes. Ce qui, encore une fois, n'est plus le cas aujourd'hui. À l'heure actuelle, nous avons 68 500 détenus et 165 000 personnes suivies sur mandat judiciaire en milieu ouvert au titre de mesures de probation. Ainsi, le taux de détention en France – 105 pour 100 000 habitants – se situe dans la moyenne européenne. Cependant, le taux de personnes suivies en probation – 265 pour 100 000 habitants – est l'un des plus élevés d'Europe de l'Ouest, avec l'Angleterre. Ceci signifie que le nombre de personnes suivies par l'administration pénitentiaire est l'un des plus élevés d'Europe. Ces chiffres permettent de resituer le débat portant sur l'exécution des sanctions pénales.
Le troisième élément notable porte sur la capacité de l'administration pénitentiaire à s'être inscrite en une génération dans des politiques partenariales. Il s'agit d'un choix d'ouverture de l'administration pénitentiaire aux autres administrations et de l'intervention des services publics au sein des établissements pénitentiaires : c'est le cas de la santé, de l'enseignement, de la culture, de ministères ainsi que de collectivités régionales pilotes en matière de formation professionnelle. Ainsi, la politique pénitentiaire est portée par l'ensemble des institutions françaises.
Je souhaiterais également insister sur l'objectif fixé à l'administration pénitentiaire de prévention de la récidive et qui permet d'évaluer de sa réussite ou de son échec. C'est extrêmement important. Pour ma part, je considère qu'il n'existe pas d'action d'insertion possible sans sentiment de sécurité. Inversement, je pense qu'il n'existe pas de meilleure sécurité qu'une insertion sociale réussie. En la matière, l'administration pénitentiaire a réalisé une révolution criminologique et s'organise pour que le temps de détention en milieu ouvert soit utile au regard de la prévention de la récidive.
Cette capacité à s'adapter a été vérifiée au regard du phénomène de la radicalisation. En 2014-2015, il y a eu une grande vague de radicalisation en prison comme dans l'ensemble de la société française. L'administration pénitentiaire n'avait pas l'habitude de gérer un nombre aussi important de terroristes, dans une période aussi courte et réalisant un tel prosélytisme. L'administration pénitentiaire a néanmoins fait face et le modèle français de prévention de la radicalisation est actuellement reconnu au niveau européen.
Depuis 2020, la crise sanitaire a sidéré la France et soulevé de nouvelles problématiques. Les fonctionnaires pénitentiaires ont cependant poursuivi leur travail en présentiel en vue d'assurer la sécurité et prise en charge des personnes détenues. Compte tenu des caractéristiques du milieu pénitentiaire, il était annoncé que celui-ci subirait de lourdes conséquences sur le plan sanitaire. Ces prédictions ne se sont pas vérifiées dans les faits, en raison de la stratégie appliquée, mais aussi de la connaissance, du professionnalise, du sang-froid et du courage du personnel pénitentiaire. C'est aussi en raison de la présence des unités hospitalières au cœur de la détention, qui ont permis une réactivité médicale paradoxalement supérieure au reste de la société civile.
Enfin, la diversité des métiers pénitentiaires illustre la plasticité de l'administration pénitentiaire face aux missions qui lui sont assignées. Actuellement, un surveillant fait du renseignement pénitentiaire, peut être maître-chien, peut être formé par le GIGN – groupe d'Intervention de la gendarmerie nationale – pour intégrer une équipe d'intervention régionale, pratique les extractions judiciaires, se rend au domicile des délinquants pour poser, réparer et vérifier les dispositifs de bracelets électroniques. Autant de missions nouvelles pour lesquelles l'administration pénitentiaire s'est adaptée.
Concernant sa capacité à assurer la neutralisation de certaines personnes hors de la société, l'administration pénitentiaire française est l'une des administrations les plus sécurisées d'Europe : nous avons un nombre extrêmement faible d'évasions, de mutineries et d'homicides en détention, malgré la violence caractéristique de ce milieu.
Dans un second temps, mon propos concerne les marges de progression, qui sont évidentes. Nous exerçons un métier difficile, dont la réussite d'un instant est toujours remise en cause l'instant suivant. Nous avons besoin de moyens. Il faut que les politiques assument la prison. La prison est une institution sociale et nécessite un budget conséquent : l'administration pénitentiaire est composée de 43 000 personnels et de dizaines de milliers d'intervenants extérieurs, de 65 800 détenus, de 165 000 probationnaires, de 189 établissements, et de 103 services pénitentiaires d'insertion et de probation, ou SPIP.
Le budget consacré à l'administration pénitentiaire a longtemps été sous-estimé. Néanmoins, il est en progression depuis plusieurs années : il a augmenté de 30 % entre 2016 et 2021. L'effort devrait s'accentuer sur 2022. Le budget consacré aux actions de réinsertion est lui passé de 69 millions d'euros en 2016 à 95 millions d'euros en 2021.
Par ailleurs, malgré la nécessité de construire des prisons, il est également essentiel de les entretenir. Pendant longtemps, cet entretien constituait le talon d'Achille de la pénitentiaire avec un budget insuffisant de 60 millions d'euros par an, au lieu des 130 millions nécessaires. Actuellement, le budget alloué à la maintenance des établissements est de 130 millions à 140 millions d'euros. Cependant, certains établissements sont trop dégradés et nécessitent l'entreprise de lourds travaux de rénovation.
À mon sens, la question de la construction est incontournable. Je n'oppose pas le développement de la probation et le nombre de places de prison. Nous disposons d'un parc immobilier ancien, offrant des conditions de détention qui ne sont pas dignes. Mon rôle n'est pas d'évaluer le travail des magistrats qui rendent la justice au nom du peuple français. En trente-sept ans d'exercice professionnel, je n'ai connu que deux ou trois années où la question de la surpopulation ne s'est pas posée à l'administration pénitentiaire. Il existe un programme à hauteur de 4,5 milliards d'euros qui a été annoncé : le programme 15 000. Je souhaiterais qu'il soit plus aisé de trouver des lieux pour construire des prisons. En effet, la question est complexe, notamment dans les grandes agglomérations.
Nous avons également besoin de ressources humaines. Le besoin en la matière est important et s'explique par la construction d'établissements et l'affectation de nouvelles missions. La ressource doit être continue dans le temps. En la matière, nous avons bénéficié, depuis cinq ans, de 5 000 créations d'emploi.
Je terminerai mon propos sur les marges de progression que j'identifie pour une meilleure efficacité de l'administration pénitentiaire.
La première concerne l'état d'esprit de la société. Il faut aborder une approche constructive sur le long terme, qui dépasse la question des postures politiques de populisme ou d'angélisme pénal.
La deuxième concerne la surpopulation carcérale. Il s'agit d'un mal endémique et structurel qui nécessite un effort continu en termes d'investissement. Ces programmes entrepris ces trente dernières années sont insuffisants. Surtout, il n'existe pas de continuité dans la construction d'établissements pénitentiaires.
La troisième concerne la réponse aux peines de probation. Je suis persuadé que ces réponses doivent être crédibles et que la question du surencombrement est centrale. On compte actuellement 1 300 matelas au sol dans nos établissements pénitentiaires, ce qui entraîne une surchauffe de l'ensemble du système pénitentiaire et affecte négativement l'ensemble des activités pouvant s'y dérouler. En outre, il n'existe pas d'indexation des personnels sur le nombre de détenus. Or le fait d'avoir un surveillant pour quarante détenus présente de nombreux avantages en matière d'accompagnement, de surveillance, etc. Enfin, l'incarcération dans des conditions peu dignes entraîne un effet pervers en créant un sentiment d'humiliation chez les détenus, qui souvent entretiennent déjà un sentiment de victimisation. Ce surencombrement peut également favoriser le prosélytisme ou l'entraînement dans des actions néfastes.
La quatrième marge de progression concerne la reconnaissance des missions de l'administration pénitentiaire et de ceux qui la servent. Il faut que l'ensemble de la société assume ses prisons et que l'on cesse ce regard biaisé, composé de stigmatisations et d'amalgames. Si l'on souhaite que le personnel de l'administration pénitentiaire soit parfait dans son travail, il faut lui apporter un soutien bienveillant. Je rappellerai également deux lois mises en place par Robert Badinter. La première est la « loi d'airain » concernant les conditions de détention. Il est difficile pour les responsables politiques de s'intéresser aux prisons. En effet selon cette loi, toute société a des difficultés à accepter qu'un détenu soit aussi bien traité que le travailleur le plus pauvre dans la société libre. Le deuxième axiome de Robert Badinter était le principe de subsidiarité : au moment où une dépense pénitentiaire survient, elle est en concurrence avec d'autres dépenses – éducation, santé, etc. –. La tendance naturelle est donc que l'autre dépense vienne prendre le pas.
La cinquième marge de progression repose sur la nécessité de veiller à ce que la politique pénale soit en cohérence avec la politique pénitentiaire ou avec les réalités pénitentiaires. J'approuve la logique de politique des peines.
La sixième marge de progression possible repose sur l'idée qu'il ne faut pas trop demander à l'administration pénitentiaire, au risque de la placer en échec. En effet, il est demandé à l'administration pénitentiaire de réussir là où l'ensemble des acteurs – la famille, l'école, les politiques sociales, etc. – ont échoué. Ainsi, l'administration pénitentiaire devrait se voir assigner uniquement une obligation de moyens et non de résultat. Je rappelle que le taux de récidive est de 40 % dans les cinq ans suivant la sortie de détention. Cela signifie que près de 6 détenus sur 10 ne reviennent pas en prison, ce qui n'est pas un chiffre négligeable.
La septième marge de progression porte sur la nécessité de mettre en place de véritables outils d'évaluation de la récidive. C'est ce qui permettra d'évaluer les politiques pénitentiaires sur le long terme. Nous avons en France, un retard en la matière. Nous devons combler ce retard en travaillant avec le monde universitaire et celui de la recherche.