Intervention de Claire Hédon

Réunion du mercredi 15 septembre 2021 à 17h30
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Claire Hédon, défenseure des droits :

Effectivement, nous sommes venus nombreux, car ces questions traversent l'ensemble des compétences de l'Institution. Claudine Jacob est directrice des affaires judiciaires, Pascal Montfort est le chef du pôle justice et libertés, et France de Saint-Martin est notre conseillère parlementaire. Nous vous adresserons un document écrit en complément. Dans mon propos liminaire, je commencerai par répondre aux questions que vous nous avez d'ores et déjà posées.

Je tiens tout d'abord à vous remercier pour votre invitation à venir participer aux travaux de cette commission d'enquête. Le sujet sur lequel vous avez choisi de travailler est vaste, mais tout à fait essentiel pour nous et il me tient particulièrement à cœur. Nous suivons avec attention tous les travaux parlementaires menés ces dernières années sur la question de la détention en France. Ceux de la commission des lois de l'Assemblée nationale en 2018 avaient permis de formuler des propositions intéressantes. Plusieurs évolutions législatives intervenues récemment vont également dans le bon sens. C'est le cas de la loi du 8 avril 2021 qui a pour objet de garantir à tous les détenus le droit à des conditions dignes de détention. Nous resterons néanmoins attentifs à la mise en œuvre de cette loi. C'est également le cas des évolutions attendues sur le travail des détenus dans le projet de loi sur la confiance dans l'intuition judiciaire, en cours d'examen au Sénat.

Cependant, il reste beaucoup de chemin à parcourir pour parvenir à une situation dans laquelle les atteintes aux droits des personnes détenues seraient moins récurrentes. Au travers des saisines que nous recevons, nous constatons que ces atteintes sont encore très nombreuses et variées.

Je voudrais, à titre liminaire, vous préciser les modalités de nos actions en matière pénitentiaire et préciser quelques constats généraux que nous en tirons, avant de détailler deux sujets particuliers que sont la situation particulière des mineurs détenus et la question du traitement des violences en prison.

Quelles sont les modalités d'action du Défenseur des droits en matière pénitentiaire ? L'article 4 de la loi organique du 29 mars 2011 donne compétence au Défenseur des droits pour traiter des réclamations de toutes les personnes physiques s'estimant lésées en raison d'un dysfonctionnement administratif, d'une atteinte aux droits ou à l'intérêt supérieur de l'enfant, d'une discrimination ou d'un manquement au respect de la déontologie de la sécurité.

Cette possibilité est également ouverte aux personnes détenues. Le Défenseur des droits dispose d'une équipe de juristes qui exerce au siège à Paris, ainsi que de plus de 550 délégués territoriaux, bénévoles et formés pour recevoir gratuitement toute personne qui sollicite de l'aide pour faire valoir ses droits.

C'est ainsi que, pour traiter du cas particulier des personnes détenues, nous avons nommé un délégué auprès de chaque établissement pénitentiaire. En 2021, environ 150 délégués interviennent auprès d'un ou plusieurs établissements pénitentiaires.

Par ailleurs, depuis le 20 mars 2020, nous avons créé un numéro dédié pour permettre aux détenus de comprendre et d'accéder à leurs droits dans le contexte des restrictions particulières liées à la crise sanitaire. Pendant le premier confinement, environ 2 500 appels ont été traités. Depuis juillet 2020, cette ligne dédiée a été prise en charge par la plateforme téléphonique générale du Défenseur des droits afin de compléter les permanences des délégués du Défenseur des droits au sein des établissements pénitentiaires.

Enfin, concernant les relations entre le Défenseur des droits et la CGLPL – la contrôleure générale des lieux de privation de liberté –, je voudrais vous préciser que nous travaillons en parfaite intelligence. Une information réciproque est régie par une convention entre nous qui date du 8 novembre 2011. Celle-ci nous permet d'éviter les démarches inutiles ou redondantes, ainsi que les réponses de nature différente. L'objectif est avant tout de permettre la mise en œuvre de tous les moyens pour donner des réponses rigoureuses et aussi diligentes que possible aux personnes qui nous saisissent.

Grâce au traitement de ces réclamations, nous pouvons formuler plusieurs constats généraux.

La première cause des atteintes aux droits des personnes en prison demeure la persistance de la surpopulation carcérale et le moratoire sur l'encellulement individuel. C'est la raison pour laquelle nous avons recommandé à de nombreuses reprises de mettre fin à ce moratoire, toujours sans succès pour l'instant. Malgré la crise sanitaire et les mesures gouvernementales fortes prises pour éviter la diffusion de la covid-19 en détention, le nombre de détenus est de nouveau en hausse et atteint déjà le niveau de 2019. Cela laisse présager une hausse continue dans les mois qui viennent. Cette situation a indéniablement des effets importants sur les droits des détenus, en particulier sur plusieurs de leurs droits les plus fondamentaux, dont le droit au respect de leur intégrité physique et psychique et le droit à la santé.

Dès lors, les répercussions sont nombreuses en matière de réinsertion sociale. Vous le savez, la réinsertion est l'un des objectifs de la peine assignée par la loi. La période de détention doit notamment contribuer à préparer la sortie du condamné en lui assurant, entre autres, l'accès aux droits sociaux et la protection sociale ainsi que l'accès à l'enseignement et à la formation professionnelle.

En pratique, le détenu doit souvent préparer sa réinsertion par la réalisation de démarches administratives de droit commun. Cependant, de nombreuses démarches, pourtant banales, sont de véritables parcours du combattant pour les détenus. Cela met davantage en péril leur réinsertion. C'est le cas, par exemple, de l'obtention d'une carte nationale d'identité. De nombreuses réclamations que nous recevons prouvent qu'elle reste très difficile à obtenir en détention. Or elle est indispensable à l'exercice du droit au maintien des relations sociales et aux démarches de réinsertion de la personne détenue.

L'accès aux sites internet en détention permettant d'effectuer ces démarches demeure également très problématique. C'est l'un des enjeux primordiaux de cette question. Il est indispensable que les sites des services publics puissent être accessibles aux personnes détenues. Une partie des contenus existants sur Internet doivent être rendus accessibles librement au sein des établissements pénitentiaires : les sites internet des services publics, les sites des organismes sociaux ou encore les sites de formation en ligne reconnus par le ministère de l'éducation nationale. De plus, j'ai eu l'occasion à plusieurs reprises de recommander la mise en place d'un accompagnement aux usages numériques et informatiques pour l'ensemble des personnes en détention qui en ont besoin.

La reprise d'une activité professionnelle, limitée par l'offre quantitative et qualitative d'emplois en détention, se heurte aussi à plusieurs difficultés administratives, comme les règles de déclassement et les modalités de paiement de l'activité. Le travail est pourtant l'un des grands enjeux de la réinsertion. C'est pourquoi nous recommandons notamment que le refus de classement au travail soit obligatoirement formalisé par écrit et systématiquement motivé, de marnière à ce que la personne détenue puisse au moins en comprendre les motifs.

Enfin, le maintien des liens familiaux nous apparaît aussi comme une condition fondamentale à la réinsertion des personnes détenues. Les services du Défenseur des droits sont très fréquemment saisis, au siège ou par l'intermédiaire des délégués, sur la question du maintien des liens familiaux des mineurs avec leurs parents incarcérés. Cette problématique a été amplifiée par la situation sanitaire et les restrictions mises en place par l'administration pénitentiaire. Nous avons notamment été saisis de difficultés s'agissant de la réduction du nombre de visiteurs à un visiteur par personne incarcérée. De fait, les mineurs de moins de 16 ans ont été privés pendant plusieurs mois de visite à leur parent incarcéré, car ils ne peuvent se rendre seuls en détention. Nous avons aussi été saisis par des parents incarcérés ne pouvant pas maintenir des liens familiaux du fait des gestes barrières applicables aux parloirs. Cela les empêchait même de prendre leurs enfants ou leurs nouveau-nés dans les bras, ou de les embrasser, sous peine d'un isolement de dix jours et de poursuites disciplinaires. Dans une visite que j'ai effectuée à Varennes-le-Grand, j'ai constaté que cette question était l'une des premières abordées par les détenus.

Le cas particulier des mineurs détenus pendant la crise sanitaire est très inquiétant également. Dès mars 2020, 82 % des 800 mineurs détenus étaient en détention provisoire sans possibilité de visite ni de scolarisation, les plaçant dans un isolement total. Nous n'avons cessé d'intervenir en faveur de la mise en œuvre d'alternatives à l'incarcération.

Au-delà de la crise sanitaire, le cas des mineurs détenus mérite quelques précisions supplémentaires.

Je vous rappelle à titre liminaire que l'emprisonnement d'un enfant ne doit intervenir qu'en dernier ressort et être le plus bref possible. Ce principe est posé par la Convention internationale relative aux droits de l'enfant, ratifiée par la France. Les alternatives à l'incarcération doivent être privilégiées, d'autant plus que les droits des mineurs incarcérés ne sont pas toujours respectés, compte tenu notamment de la surpopulation carcérale.

Pourtant, les conditions de détention doivent assurer la protection du mineur. C'est pourquoi ils doivent être soumis à un régime de détention spécifique. Le principe de la séparation entre mineurs et majeurs est ainsi posé dans la loi, mais pas toujours respecté dans les faits. Cela pose notamment la question de la sécurité des jeunes filles incarcérées victimes de traite dans les lieux de détention pour majeures. La particularité de la prise en charge des mineurs détenus réside aussi dans le fait qu'elle est assurée conjointement par la protection judiciaire de la jeunesse – la PJJ – et par l'administration pénitentiaire.

Les personnels de la PJJ assurent la mise en œuvre des activités socio-éducatives et la plupart des missions assurées par le service pénitentiaire d'insertion et de probation pour les majeurs. Y participent également les services de l'éducation nationale et du soin. Cette multitude d'intervenants exige une excellente coordination, en particulier en prévision de la réinsertion sociale des mineurs.

En effet, leur réinsertion pose spécifiquement la question de l'accès à l'enseignement et à la formation en vue de la construction d'un projet de sortie, ainsi que celle de la qualité de l'accompagnement social, éducatif et de loisirs. Afin de faire de la période d'incarcération du mineur en détention une étape constructive, un accompagnement solide et effectif du mineur est essentiel.

Cela exige une évaluation de sa situation et de ses besoins en lien avec les intervenants extérieurs dès son arrivée. Cela exige également que les professionnels suivant le mineur en détention coordonnent leurs actions et restent en lien permanent avec le milieu ouvert. En principe, l'encadrement est plus étoffé en EPM – établissement pénitentiaire pour mineurs –, ce qui permet de mener auprès des jeunes détenus un travail éducatif plus intensif. Les mineurs détenus doivent faire l'objet d'une intervention éducative continue : l'enseignement ou la formation sont censés constituer la part la plus importante de leur emploi du temps, dans la continuité de leur parcours préalable à l'incarcération. Mais c'est loin d'être le cas en pratique.

Par ailleurs, lors de visites d'agent de mes équipes au QPM – quartier pour mineurs –de Villepinte et à l'EPM de Porcheville, à l'occasion de différentes instructions, ou de ma visite à l'EPM de Quiévrechain, nous avons pu remarquer le peu d'activités culturelles et sportives proposées aux mineurs détenus, malgré l'existence de terrains de sport en extérieur et de salles adaptées. À Quiévrechain, les adolescents n'avaient le droit qu'à deux heures de sport par semaine, ce qui est très peu. Par ailleurs, une jeune fille rencontrée n'avait pas accès aux cours depuis plusieurs jours.

S'agissant plus particulièrement des mineurs non accompagnés, ou MNA, leur prise en charge est très spécifique et bien souvent défaillante. Elle pose la problématique de la langue, des addictions, du travail éducatif particulier à mettre en place, du suivi à l'extérieur, de l'absence d'autorité parentale sur le territoire. Comme pour tous les mineurs incarcérés, la question de leur accès aux soins, notamment psychiatriques, est primordiale. Les mêmes problématiques se posent que pour les majeurs en détention. L'accès aux soins somatiques demeure trop limité, notamment du fait du manque de professionnels de santé disponibles, et la prise en charge des personnes détenues atteintes de troubles de santé mentale est défaillante.

Il apparaît pourtant indispensable de mettre en place des soins adaptés aux mineurs en détention et d'assurer une continuité des soins par un relais préétabli à la sortie de détention du mineur, permettant de ne pas perdre les bénéfices d'un travail psychologique débuté. Par ailleurs, il est urgent de former l'ensemble des personnels à la prise en charge particulière des MNA.

Les personnes à mobilité réduite ou atteinte de pathologies chroniques doivent aussi faire l'objet d'une attention particulière. Cependant, les établissements pénitentiaires demeurent inadaptés pour les accueillir, tout comme les personnes âgées ou en perte d'autonomie.

Dans le rapport parallèle que j'ai présenté en juillet 2021 sur la mise en œuvre de la Convention internationale des droits des personnes handicapées – CIDPH – par la France, je me suis alarmée de la situation préoccupante de ces personnes en prison. Cette situation n'est pas récente et a donné lieu à plusieurs condamnations de la France par la CEDH pour traitement inhumain et dégradant. Selon le CGLPL, les conditions de détention des personnes touchées par un handicap ne sont pas suffisamment, voire pas du tout adaptées. Nous avons également émis des recommandations à l'attention de l'État. Je vous adresserai ce rapport pour alimenter vos travaux sur ce point.

Nous avons aussi étudié le traitement réservé aux dossiers relatifs aux violences commises en détention clos par nos services entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2018. Il ressort de cette analyse que les détenus victimes de violences sont non seulement confrontés à des obstacles fonctionnels et probatoires pour déposer plainte ou saisir le Défenseur des droits, mais aussi rencontrent des difficultés pour que leur plainte aboutisse, en raison d'enquêtes succinctes et d'un manque de coopération entre les institutions.

Le détenu n'a d'abord pas la possibilité de rencontrer un fonctionnaire de police pour porter plainte. Il doit procéder à l'envoi d'un courrier de plainte au parquet. Outre le coût de la procédure, certaines personnes éprouvent des difficultés à lire et écrire des courriers et le recours à des écrivains publics participe au ralentissement du dépôt de la plainte. Pour ce qui est de la saisine du Défenseur des droits, malgré la gratuité des courriers que nous avons instituée, nous constatons un désistement fréquent de la réclamation par les personnes détenues.

C'est pourquoi nous avons recommandé : de mettre en place des dispositifs destinés à faciliter les auditions des détenus par les agents du Défenseur des droits – visioconférences, rendez-vous téléphonique, extraction – ; de garantir un système de traçabilité permettant le contrôle effectif de l'envoi et de la réception des courriers échangés ; d'établir la gratuité des appels qui lui sont adressés et d'assurer leur confidentialité.

Sur le plan probatoire, le délai de conservation des vidéos enregistrées en établissement pénitentiaire, plafonné à un mois, est trop court pour que les vidéos soient exploitées dans le cadre d'une procédure disciplinaire ou judiciaire. Il faudrait prévoir la conservation des données de vidéoprotection pendant une durée de six mois, dès lors qu'un compte rendu d'incident est établi.

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