Intervention de Julia Schmitz

Réunion du mardi 12 octobre 2021 à 17h45
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Julia Schmitz, maître de conférences en droit public à l'université de Toulouse :

Je vous remercie de m'auditionner sur cette problématique particulière. Je tiens à préciser au préalable que je m'exprimerai ici en tant que spécialiste de droit public, même si mes analyses découlent d'une recherche pluridisciplinaire. Je dirige en effet une recherche collective qui associe des spécialistes du droit du travail, des spécialistes du droit pénal et des professionnels de l'administration pénitentiaire concernés par ces questions. Ces derniers nous permettent de disposer de la vision pratique de l'encadrement juridique du droit pénal en prison.

Votre première question concernait l'intérêt de la formation professionnelle, de l'activité économique et de son impact dans la lutte contre la récidive. Les études démontrent que cet impact est important, à condition toutefois d'insister sur le terme « réinsertion ». Il est nécessaire de conférer à ce terme non seulement une approche collective de politique publique de réinsertion, mais également une approche plus subjective relevant du droit fondamental dont pourraient se prévaloir les personnes détenues.

L'observation de l'encadrement juridique actuel du travail en prison soulève plusieurs questions essentielles.

Comment travaille-t-on en prison ? Quelles y sont les conditions de travail ? Depuis 1987 et la loi relative au service public pénitentiaire, qui a supprimé l'obligation de travailler en prison, le travail en détention a suivi la voie d'une certaine formalisation. La loi de 2009 a consacré l'acte d'engagement pour formaliser le travail en prison. Cependant, cette normalisation demeure inaboutie, car il n'existe pas de contrat de travail dans l'espace carcéral. Cette absence de contrat de travail demeure symboliquement néfaste, puisqu'elle consacre une forme de rupture avec la vie sociale, la vie normale, tandis qu'elle demeure juridiquement néfaste. En raison de son absence, le juge du travail se déclare incompétent. Les droits fondamentaux du travail ne s'appliquent donc pas en prison. Le juge administratif, devenu compétent en la matière, a lui aussi en partie refusé d'appliquer les principes fondamentaux du droit du travail.

Comment accéder au travail en prison ? Il existe un manque de transparence dans les procédures d'accès des détenus aux activités de travail. La réforme en cours vise à clarifier cette procédure, mais elle la complexifie également.

Pourquoi travailler en détention ? Là aussi, ce phénomène appelle d'autres sous-questions et réflexions. L'un des objectifs du travail en prison reste de gagner de l'argent : au-delà de la réinsertion, le travail a une visée économique ; il s'agit d'alimenter le pécule de libération et la part disponible du compte nominatif des personnes détenues leur permettant notamment de cantiner. Certes, depuis 2002, la prise en charge des frais de détention est assurée principalement par l'État. Cependant, les conditions de détention ne sont pas toujours dignes, la cantine en prison coûte très cher, les prix pratiqués étant bien supérieurs à ceux existant en dehors, tandis que les détenus bénéficient de manière partielle et discontinue des aides sociales.

Travailler en prison pour quel travail ? Se pose ici la problématique de la quantité du travail. Comment attirer le travail en prison ? La réforme en cours apporte en partie des réponses à ces interrogations. Nous pouvons également nous interroger sur la qualité du travail en détention, car souvent il s'agit de tâches peu qualifiantes et répétitives. La diversité du travail en détention soulève également des interrogations. Il est nécessaire de prendre conscience que la population carcérale est très hétérogène, les profils sont particulièrement différenciés. Il existe de courtes et de longues peines. Les personnes détenues sont parfois très éloignées de l'emploi, notamment les jeunes souvent très peu qualifiés et disposant d'une faible expérience de la vie professionnelle. Ces questions nous mènent directement à nous interroger sur la question de la formation.

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