Intervention de Philippe Auvergnon

Réunion du mardi 12 octobre 2021 à 17h45
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Philippe Auvergnon, directeur de recherche en sociologie et sciences du droit au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) :

En pensant à la première question que vous nous avez adressée, je souhaite insister sur l'existence d'un rapport certain entre le travail en détention et l'avenir de l'individu. Toutefois, ce rapport n'est pas mécanique. Les responsables politiques souhaitent disposer d'une clé contre la récidive. Malheureusement, nous ne sommes pas en mesure d'associer clairement ces phénomènes. À l'inverse, nous pouvons dire que des individus qui n'ont pas travaillé et qui n'ont pas bénéficié de formation en prison ne bénéficieront pas d'avantages à la sortie.

Deux facteurs sont primordiaux dans la lutte contre la récidive : l'entretien de lien social pendant la détention et la possibilité de disposer de conditions de sortie favorables notamment un emploi. Or ces deux facteurs sont souvent liés, car conserver un réseau familial ou amical offre des possibilités d'emploi à la sortie de prison. Travailler et se former en prison permet d'assurer l'insertion en détention dans des conditions qui privilégient l'avenir. En effet, formation et travail permettent de cantiner et ainsi de diminuer le recours à d'autres expédients pour assurer un minimum de moyens en prison. En outre, le travail permet d'entretenir son autonomie et sa rémunération conduisant ainsi à aborder l'avenir dans de meilleures conditions.

Nous avions formulé des propositions, à l'Assemblée nationale, il y a deux ans, concernant le pilotage de la question du travail et les droits à reconnaître. Nous avions alors insisté sur l'importance du pilotage de la question, c'est-à-dire sur la nécessité de conduire une politique du travail pénitentiaire. Il s'agissait sans doute d'un modèle idéal. Cependant, il s'avère primordial de disposer d'un pilotage avec des moyens et des objectifs prenant en compte la population carcérale telle qu'elle est. Nous estimons que 30 % des personnes détenues connaissent des problèmes psychiques, acquis ou non en prison. Un tiers de cette population est jeune et se trouve à la périphérie du marché du travail. Elle est surreprésentée en prison. Seuls 25 à 35 % des détenus peuvent tenir un travail, que ce soit en prison ou à l'extérieur. Lorsque nous nous posons la question d'une politique du travail pénitentiaire, il demeure nécessaire de prendre en compte la société carcérale telle qu'elle est composée. La reconnaissance de droits, à travers la réforme en cours, doit s'accompagner d'une politique du travail pénitentiaire incluant des propositions émises à l'encontre de la population carcérale qui ne peut pas travailler ou qui ne pourra jamais travailler. Or ce phénomène requiert une progression quant à l'expérimentation des ESAT – les établissements ou services d'aide par le travail – en prison.

Le recours à l'insertion par l'activité économique pour les entreprises adaptées doit également cibler ce tiers de population carcérale qui ne dispose ni de savoir-faire professionnel ni de savoir-être. Les éléments acquis en prison doivent comprendre le savoir-être, soit le comportement, la ponctualité, etc. Ces éléments prévalent dans une réflexion sur une politique pénitentiaire volontariste en matière de travail, qui participe à l'évolution des apporteurs de travail, car nous disposons à ce jour principalement de façonneurs. Or il s'agit de tâches occupationnelles qui ne permettent pas d'être convenablement rémunéré ni d'investir le travail positivement. Il est nécessaire de se soucier du contenu du travail, d'aller à l'encontre des réticences de l'administration pénitentiaire quant au numérique, d'essayer d'attirer des sous-traitants et des entreprises investies de responsabilités sociales ou sociétales.

Par ailleurs, il s'avère fondamental de changer l'image du travail en prison. Des entreprises cachent leurs recours au travail en prison. Or il est capital d'œuvrer pour que des entreprises revendiquent le travail fait en prison. Cet enjeu n'est pas uniquement juridique. Nous pouvons faire évoluer le droit, mais il doit être accompagné d'une véritable politique.

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