Intervention de François Bonneau

Réunion du mercredi 13 octobre 2021 à 8h15
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

François Bonneau, président de la région Centre-Val-de-Loire, président de la commission éducation, orientation, formation et emploi de Régions de France :

Les régions se félicitent de pouvoir prendre part au travail engagé par votre commission, au regard de la compétence qui est la leur en termes de formation professionnelle des demandeurs d'emploi de manière générale depuis la création des lois de décentralisation, mais aussi, plus spécifiquement, en direction des personnes sous main de justice depuis la loi de 2014.

Les régions s'attachent à ce que la formation professionnelle à destination des personnes privées d'emploi soit la plus adaptée possible. Certaines d'entre elles présentent des problématiques d'acquis généraux de formation qui, parfois, pour être insuffisants, pénalisent assez considérablement l'insertion professionnelle. Je pense à la maîtrise des fondamentaux langagiers, comportementaux et sociaux qui, même lorsqu'ils sont présents, ne sont pas toujours suffisants. En effet, il arrive que la formation reçue par le passé soit inadaptée à la réalité du marché de l'emploi, nécessitant une évolution. La formation professionnelle a bien évidemment pour objectif de conduire à l'émancipation de la personne, ce qui implique une entrée directe dans l'emploi.

Je me permets d'insister sur ce point car il existe un paradoxe assez considérable. Le nombre de demandeurs d'emploi est en effet important : plus de 2 millions si l'on compte ceux qui n'ont aucune activité et 5 millions si l'on inclut ceux qui ont une activité très partielle et qui souhaiteraient accéder à une activité régulière. Parallèlement, on dénombre entre 500 000 et 1 million d'offres d'emploi difficiles à pourvoir. Au niveau des régions, notre préoccupation de rapprocher ces deux éléments est permanente. À cet effet, nous veillons à articuler de la meilleure façon possible la formation des demandeurs d'emploi avec la création d'un écosystème favorable au développement économique. Cela passe par une réflexion globale à l'échelle des régions et des territoires. La mobilité des personnes étant réduite, il convient de les former au plus près des besoins. Nous soutenons de moins en moins la logique des stages, qui amènent par la suite les personnes à devoir franchir de nouveaux obstacles au moment de leur entrée en formation. Nous essayons de faire coïncider la nature des stages aux offres d'emploi, ainsi que l'intervention des entreprises au sein même des formations afin que le parcours soit le plus lisse possible.

La responsabilité plus spécifique de la formation des personnes sous main de justice a tout d'abord été expérimentée dans deux régions, l'Aquitaine et les Pays de la Loire, avec deux approches différentes. Pour l'Aquitaine, il s'agissait essentiellement de formations à caractère professionnel. Dans les Pays de la Loire, les formations revêtaient un caractère plus général, incluant une remise à niveau des fondamentaux.

La définition du projet d'orientation est particulièrement importante en milieu carcéral. Elle n'est pourtant pas évidente car elle concerne des personnes qui, pour certaines, ont eu un parcours d'insertion professionnelle pour le moins chaotique. Il n'est pas aisé pour elles de se représenter l'adéquation entre leur personnalité, leurs intérêts et la réalité des métiers d'aujourd'hui et de demain. Nous proposons donc d'abord une première phase de sensibilisation aux métiers, moins facile à réaliser en milieu carcéral qu'elle ne l'est en milieu ordinaire.

La notion de projet d'insertion professionnelle est capitale. La formation doit ainsi véritablement donner accès à des activités existantes. Il ne s'agit absolument pas d'activités occupationnelles, lesquelles, d'une part, ne fonctionneraient pas et, d'autre part, seraient peu respectueuses de l'engagement des personnes. À ce jour, les régions se mobilisent très fortement sur ce point, à travers la définition des besoins auxquels il faut faire face au plus près du terrain, c'est-à-dire sur la base d'une réflexion collégiale avec les responsables du milieu pénitentiaire et Pôle emploi. Aujourd'hui, au-delà de cette définition, s'ajoute la mobilisation des acteurs de la formation, qui s'effectue à travers un marché. Il nous incombe donc d'être capables d'identifier les organismes de formation les mieux à même de répondre qualitativement aux besoins des structures. Il revient au milieu pénitentiaire d'assurer l'existence d'une structure adaptée à la mise en œuvre de la formation en termes d'équipement. Les régions assurent quant à elle le financement des organismes de formation et la rémunération des stagiaires, comme nous le faisons en milieu ordinaire, en fonction des droits des personnes pendant leur détention.

Globalement, nous jugeons positif le bilan de la loi du 5 mars. L'ensemble des régions sont désormais impliquées dans ce processus de formation. Nous avons connu une phase d'acculturation et de clarification du rôle de chacun, une phase de discussions, parfois âpres, avec les autorités pénitentiaires, en vue de définir les moyens financiers dont nous pourrions disposer pour la mise en œuvre de ces formations, phase suivie d'une montée en puissance qui aboutit aujourd'hui à des relations fluides avec l'administration pénitentiaire, qui se reflète par une co-élaboration des appels d'offres, une détermination conjointe des besoins et une évolution de l'offre adaptée à la durée des peines et des plateaux techniques existants.

Sur le plan quantitatif, les chiffres restent assez modestes. Cependant, en 2020, 9 119 personnes incarcérées – soit un peu plus de 15 % de la totalité – sont entrées en formation, dont 7 594 ayant bénéficié d'un financement régional. Malgré la particularité de la situation liée à la crise sanitaire, qui a pu, ici ou là, peser sur certains organismes de formation, ces chiffres semblent refléter les tendances annuelles des années précédentes : en vertu du décret du 3 mai 1984, 89 % des formations sont rémunérées à hauteur de 2,49 euros de l'heure. La validation des moyens de formation en détention est plutôt satisfaisante, puisque 68 % de ces formations sont qualifiantes, tandis que 16 % sont certifiantes.

L'orientation en matière de promotion de la personne et d'acquisition de titres professionnels est bonne, même meilleure qu'en milieu ordinaire. On note, dans le milieu pénitentiaire plus qu'ailleurs, un véritable besoin de professionnalisation des formations à travers l'utilisation de plateaux techniques qui doivent toujours être portés au meilleur niveau et suffisamment diversifiés. Ce milieu a évolué vers une meilleure appropriation de la formation et de son intérêt, grâce à la dynamique du dialogue que nous avons construit ensemble, qui permet de faire de la formation l'un des éléments de l'évolution des personnes détenues et de la préparation à leur réinsertion. L'égalité de traitement est garantie entre les établissements pénitentiaires, quel que soit leur statut – gestion publique ou gestion déléguée –, ce qui n'était pas le cas au départ, et quelle que soit leur situation géographique.

Les organismes de formation impliqués semblent satisfaits, dans la mesure où ils candidatent régulièrement pour intervenir en milieu carcéral. Cela reflète l'investissement de la population concernée, élément fondamental de préparation à la réinsertion. Il semble par ailleurs évident qu'une personne en train de construire un projet professionnel pour une réinsertion se montre moins sensible aux formes de radicalisation que l'on connaît.

S'agissant des axes d'amélioration possibles, nous souhaiterions pouvoir évaluer les dispositifs de formation et leur impact sur les personnes formées dans les établissements pénitentiaires, en aval de leur formation, afin d'être en mesure d'ajuster l'offre. Alors que nous parvenons assez bien à le faire en milieu ordinaire, en demandant aux organismes de formation un suivi des personnes et notamment de leur insertion professionnelle, cela reste plus difficile en milieu pénitentiaire.

Nous aimerions également favoriser l'accès au numérique en formation, afin de faciliter l'individualisation des parcours, comme nous avons pu le constater pendant la crise sanitaire.

Nous considérons qu'il est par ailleurs indispensable de travailler sur l'accueil des prestataires, c'est-à-dire des organismes de formation, en raison de la nécessaire phase d'appropriation du milieu particulier représenté par l'univers carcéral. En outre, certaines formations sont mises à disposition par les régions à destination de personnes qui ne sont pas incarcérées mais qui sont néanmoins sous main de justice ; il serait judicieux de fluidifier les parcours entre les milieux intérieur et extérieur. De plus, la coordination des différents acteurs doit continuer à s'améliorer. Enfin, nous souhaiterions pouvoir élargir le nombre de bénéficiaires. Compte tenu des tensions qui pèsent sur les budgets des régions, l'effort financier à fournir ne peut donc reposer sur ces dernières. Des moyens complémentaires considérables ont déjà été apportés par les PRIC, les pactes régionaux d'investissement dans les compétences. Récemment, nous avons demandé au premier ministre ainsi qu'à la ministre chargée de l'emploi et de la formation professionnelle que les PRIC puissent être poursuivis en 2022-2023, de façon à ce qu'il n'y ait pas de rupture avant la mise en place d'un probable nouveau dispositif envisagé par le futur gouvernement. Les choses semblent plutôt bien engagées à cet égard, mais le secteur de la formation professionnelle pour les détenus nécessitera un effort durable si nous souhaitons réussir à terme à toucher un tiers des personnes incarcérées.

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