Intervention de Lama Drupgyu

Réunion du mardi 26 octobre 2021 à 18h15
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Lama Drupgyu, aumônière nationale bouddhiste :

L'aumônerie bouddhiste des prisons figure parmi les plus récentes, ce culte ne s'étant implanté que depuis peu en France. Nous sommes reconnaissants de la main tendue par le ministère de l'intérieur dans la mise en place de ce projet. Le premier aumônier national a été élu en 2014 par le conseil d'administration de l'Union bouddhiste de France. Il est soutenu par un conseil des directions des aumôneries au sein du conseil d'administration de l'UBF. Ce conseil accompagne l'aumônier national dans la mise en œuvre de la politique établie, dans l'évaluation des besoins, la mise en place et le suivi des projets. Nous disposons également d'un petit secrétariat pour nous aider dans l'organisation.

Nos aumôniers sont bénévoles, religieux ou laïcs engagés. Les candidats sont des pratiquants confirmés et désignés comme tels par les dirigeants de leur communauté. Après plusieurs entretiens, l'UBF leur propose une formation initiale et continue sur la connaissance des différentes et nombreuses traditions bouddhistes, mais aussi sur la laïcité, les aspects juridiques, le secret professionnel, etc. Actuellement, nous sommes environ vingt aumôniers, cet effectif comptant autant d'hommes que de femmes.

L'UBF reste à l'écoute des différentes formations proposées par les autres cultes et par les administrations. Le choix de l'UBF est de préserver le statut bénévole des aumôniers qui représentent une présence, un don que nous souhaitons offrir aux personnes en situation de détresse. Nous considérons que le rôle de l'aumônier est d'apporter une assistance spirituelle aux personnes qui en font la demande, soit individuellement dans leur cellule, soit dans un parloir, soit lors du culte dans les salles mises à disposition.

Le culte s'organise autour d'un temps de méditation avec un court rituel, des instructions, une lecture de textes et un échange avec les personnes présentes. L'aumônier est à l'écoute des besoins et propose un accompagnement adapté à la personne qui le souhaite. Il peut fournir des instructions plus spirituelles ou spécifiques selon le besoin et la demande de cette personne.

Pour nous, l'apport d'une dimension spirituelle dans les lieux de privation de liberté est extrêmement précieux et représente une porte vers la liberté. Il contribue à améliorer les relations avec les autres personnes détenues ainsi qu'avec les surveillants, et à faciliter la réinsertion. C'est pourquoi l'UBF ne souhaite pas que les aumôniers s'écartent de cette fonction spirituelle.

En ce qui concerne les difficultés que nous rencontrons, nous constatons une très grande disparité entre les établissements s'agissant de leurs conditions matérielles, de leur organisation et des personnels. On peut dire qu'entre les deux extrêmes que représentent une salle de culte trop petite, extrêmement bruyante, sans intimité et une pièce réservée exclusivement au culte bouddhiste, les aumôniers doivent faire face à des conditions totalement différentes et très variées.

L'accès au culte n'est pas non plus facilité par le manque d'accès à l'information ou sa mauvaise circulation. Il arrive parfois que, sous le choc de l'incarcération, un nouvel arrivant ne soit pas à même d'enregistrer toutes les informations qu'il reçoit, ce qui est compréhensible.

Par ailleurs, qui sait ce qu'est un aumônier ? En principe, une personne détenue doit être informée qu'elle peut demander à rencontrer un ou plusieurs aumôniers, qu'elle peut changer de confession ou en suivre plusieurs à la fois : c'est sa liberté. Or cette information n'est pas facilement accessible. Elle est même parfois méconnue des personnels surveillants eux-mêmes. On peut également souligner l'environnement difficile dans lequel intervient la pratique du culte en prison – par exemple, le bruit permanent, la télévision parfois allumée nuit et jour, les vapeurs de tabac ou de drogue. Tout cela ne facilite pas la méditation, l'introspection ou la réflexion spirituelle.

Pour ce qui est de la radicalisation en prison, je dirais que le rôle de l'aumônier bouddhiste n'est pas de combattre, mais d'accompagner les personnes qui le souhaitent vers un chemin de sagesse et de libération. Les lieux d'enfermement, de désœuvrement et de souffrance peuvent favoriser le désespoir et la colère, induire des comportements violents et pousser à la rigidité d'esprit et au dogmatisme comme moyens de préservation. Il n'est donc pas étonnant que certains esprits cherchent des voies extrêmes et se radicalisent en prison.

L'essence de la voie bouddhiste repose sur la conduite éthique, la bienveillance et l'apaisement de l'esprit. Le rôle de l'aumônier est de montrer le caractère nuisible pour soi-même et pour les autres des actions et des émotions négatives, ainsi que les dangers des tendances qui conduisent à la radicalité de l'esprit. Pour cela, il est nécessaire de bénéficier d'un espace de rencontre et d'écoute sécurisant permettant de développer une relation de confiance. Cet espace peut voir le jour n'importe où entre deux personnes, mais sa mise en place est grandement favorisée lorsque l'on dispose d'un lieu paisible, qui permet cette rencontre et encourage l'entraînement à la voie spirituelle.

Si j'ai fait part ici de nos constats de dysfonctionnements, je voudrais aussi rendre hommage à la majorité des surveillants que nous rencontrons, lesquels se montrent bienveillants et soutenants. Une piste d'amélioration pourrait toutefois consister en des sessions de formation sur plusieurs jours en présentiel, rassemblant des surveillants et des aumôniers pour qu'ils apprennent à se connaître et à se respecter. Ce serait également l'occasion de faire comprendre au personnel pénitentiaire que l'aumônerie est aussi là pour les aider. Nous pourrions étudier ensemble des questions telles que la liberté de conscience, le libre exercice du culte, les différents courants spirituels, la laïcité, mais aussi les règles de sécurité, d'écoute bienveillante, la prévention du suicide, le secret professionnel, etc.

D'autres pistes d'amélioration nous semblent davantage institutionnelles, comme le renforcement du nombre de surveillants, qui constitue une vraie nécessité pour permettre plus de fluidité dans les déplacements, ou un soutien financier renforcé aux aumôneries afin de les aider à s'organiser et à former et à recruter les aumôniers.

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