Intervention de Mohamed Loueslati

Réunion du mardi 26 octobre 2021 à 18h15
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Mohamed Loueslati, aumônier national musulman :

J'ai abordé l'ensemble de ces questions dans mon livre paru chez Bayard en 2015 : L'Islam en prison. Je serai donc très bref.

L'aumônerie musulmane remontant à 2005, elle est très récente par rapport à d'autres aumôneries présentes depuis plusieurs siècles. Dans ces conditions, il est normal que nous soyons encore en train de nous structurer. L'islam étant une religion sans clergé, nous n'avons pas à nous appuyer sur des instructions venant d'un pays étranger, ce qui nous facilite la tâche et représente un avantage. L'ensemble des musulmans qui vivent en France sont des sunnites originaires d'Afrique du Nord et d'Afrique subsaharienne. Il nous est donc facile de nous organiser de façon républicaine, le tout consistant à trouver la bonne formule.

Personnellement, je suis indépendant et n'appartiens à aucune fédération, tout en étant aumônier national. Nous avons ainsi calqué notre organisation sur celle de l'administration pénitentiaire : un aumônier national est nommé par l'administration par décret ou par arrêté sur avis du Conseil français du culte musulman, équivalent de la Conférence des évêques de France. Cet aumônier national supervise ensuite les aumôniers régionaux, au nombre de neuf, qui supervisent à leur tour les aumôniers locaux. Cela montre encore une fois que l'aumônerie est réellement organisée de façon républicaine et indépendante.

Les aumôniers musulmans dans les prisons sont au nombre de 300, ce qui s'avère insuffisant. En effet, leur statut précaire de bénévoles ne leur permet pas d'être suffisamment disponibles. De plus, la tâche qui leur incombe est immense. Ils doivent assurer le culte du vendredi, prévenir les suicides dans les prisons, lutter contre la radicalisation et servir de médiateurs entre le chef d'établissement et les détenus, notamment pour organiser le ramadan, la cantine et les fêtes religieuses. Toutes ces tâches leur reviennent alors qu'ils sont bénévoles et doivent mener en parallèle leur vie de famille et professionnelle. Ainsi, ils ne peuvent consacrer que quelques heures par semaine à la prison. Ce statut n'est pas adapté à la situation ; nous devons progresser sur ce point afin qu'ils puissent être davantage disponibles.

Je parlerai à présent du profil des aumôniers. J'exige toujours qu'ils soient bien intégrés dans la société française pour donner l'exemple aux détenus. Ils sont par exemple enseignants ou informaticiens. Ils doivent en outre maîtriser l'arabe de façon à pouvoir lire le Coran, et bien connaître la religion musulmane pour transmettre la culture arabo-musulmane et être crédibles devant les détenus dont certains ont étudié la théologie en Syrie, en Arabie Saoudite ou en Algérie. Enfin, ils doivent être républicains, francophones, intégrés et avoir suivi des études supérieures en France.

Autrement dit, cela revient à chercher une aiguille dans une botte de foin. Dès lors, je mets parfois un an à recruter un aumônier. Je trouve plus facilement ce profil parmi la première génération d'immigrés, sunnites apaisés qui ont été formés à la langue arabe et à l'islam dans leur pays d'origine. Je conçois une certaine inquiétude s'agissant de ma capacité à les remplacer par la suite, certains ayant entre 50 et 70 ans. En effet, il n'existe pas d'école pour les aumôniers auprès de laquelle nous pourrions les recruter. Je me bats actuellement pour que tous mes aumôniers obtiennent le DU – diplôme universitaire – requis et qu'ils reçoivent la formation profane, civile et civique obligatoire, quelle que soit la date de leur recrutement. Il faut aussi les sensibiliser à la radicalisation, ce que nous faisons avec des instituts universitaires, l'institut d'études politiques ou le CNRS – Centre national de la recherche scientifique. Je ne dispose toutefois pas de solution concrète pour la formation théologique de base.

Concernant notre relation avec l'administration pénitentiaire, je dirais qu'elle est demandeuse et a besoin de nous. Ainsi, la relation que nous entretenons est bonne. Il est impossible de gérer sans nous une prison où la majorité des détenus sont de culture musulmane. En revanche, il est indispensable de créer un statut pour les aumôniers musulmans pour que cette relation perdure et que nous puissions accéder à autre chose qu'à du bénévolat. Il faut que ce statut garantisse la disponibilité des aumôniers. Si l'accès des prisons aux aumôniers est libre, ils n'ont pas le temps de s'y rendre. Ainsi, le droit n'est pas appliqué, non pas parce que l'administration fait obstacle, mais parce que le prestataire de services est absent.

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