Intervention de Béatrice Brugère

Réunion du mercredi 17 novembre 2021 à 14h45
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Béatrice Brugère, secrétaire générale d'Unité magistrats FO :

Je vous remercie pour votre invitation. Je suis accompagnée par l'avocat général Philippe Ferlet, qui exerce à la cour d'appel de Paris et est référent sur la question de l'exécution des peines. Notre syndicat présente la particularité d'être le seul confédéré dans la magistrature. La pénitentiaire y est très représentée, puisque les directeurs de prison sont majoritairement regroupés dans le syndicat FO, tout comme les agents des SPIP – services pénitentiaires d'insertion et de probation –, les surveillants et les greffiers. Notre travail sur cette question depuis de longues années nous a menés à une vision commune, notamment avec les directeurs de prison, et à une réflexion à rebours des discours habituels. L'aller-retour avec les acteurs du terrain en détention et en milieu ouvert nourrit notre réflexion. Une opposition entre certains acteurs est trop souvent établie quant à la question de la surpopulation. Les magistrats sont souvent accusés de prononcer trop de peines de prison. Le dialogue permet de lever des incompréhensions.

Nous sommes un syndicat réformiste, très présent dans la fonction publique d'État, avec une certaine vision sur l'architecture du système. La politique pénale et la politique pénitentiaire n'ont de sens, quelles que soient les décisions prises, que si les moyens et les ressources humaines sont suffisants pour les mettre en œuvre. Les magistrats souhaitent avant tout que les peines prononcées soient correctement exécutées, ce qui relève notamment du travail des juges d'application des peines. Cependant, il ressort des débats que la France prononce bien plus de peines en milieu ouvert qu'en prison. La proportion est sans commune mesure. La France incarcère beaucoup, mais ne prononce pas autant de peines définitives de prison que d'autres États. Un grand nombre de mesures de détention provisoire sont prononcées. Cet axe doit être pris en compte dans votre réflexion, car il affecte les structures et les capacités d'hébergement.

Nous sommes actuellement préoccupés par la complexité de la procédure. Le droit est fréquemment réformé et la dernière loi récemment votée comporte des injonctions contradictoires. Pour les acteurs de terrain, mais également pour les citoyens et les députés de votre commission, ce droit pose des problèmes de lisibilité.

Certains éléments de votre questionnaire, laissant entendre que les magistrats n'appliqueraient pas le droit et que les acteurs de terrain n'effectueraient pas correctement leur travail, ont pu nous heurter. Ils me poussent à m'interroger sur les responsables d'une telle situation. Le sous-investissement important doit être pointé du doigt. Les organisations syndicales de magistrats soulignent que le budget ne cesse paradoxalement d'augmenter, plutôt à l'avantage de la pénitentiaire que des juridictions. Ce budget important reste insuffisant face aux besoins.

Notre organisation, favorable à l'encellulement individuel, réclame la construction de places de prison. Les conditions de vie en détention affectent également les personnes qui y travaillent. Nous souhaiterions également la mise en place d'établissements beaucoup plus spécialisés. Nous sommes opposés à ce que les personnes en détention provisoire soient mélangées avec les condamnés. Les situations sont inégales, car les zones de tension concernent certaines maisons d'arrêt davantage que les établissements de longue peine. Une approche très fine est donc nécessaire. Globalement, nous souhaitons une vision moderne de la construction, très différente de celle actuellement menée. La surpopulation est une conséquence, à laquelle le sous-équipement et l'absence de vision stratégique ont mené. La radicalisation est également une thématique importante et une conséquence du manque de cette vision stratégique sur les différentes prises en charge des populations carcérales spécifiques.

Nous considérons également qu'il existe un flou sur la question des courtes peines. La courte peine n'est pas définie clairement dans l'esprit des législateurs et de cette commission. Le périmètre n'est pas suffisamment établi. Nous sommes porteurs de propositions, travaillées avec les directeurs de prison et s'appuyant sur des études et des statistiques.

Enfin, nous pensons qu'une politique pénitentiaire très volontariste mais restant claire est nécessaire. Si le choix de l'accompagnement en milieu ouvert est fait, des moyens réels doivent être proposés. La question est moins celle de la peine que de son effectivité. Ce constat vaut pour le bracelet électronique. Sa faible utilisation s'explique par un manque de dispositifs, mais également de doctrines et de moyens pertinents pour contrôler leur usage. Une panne électrique récente a par exemple mis à l'arrêt ces bracelets électroniques durant plusieurs heures. La politique pénale doit être cohérente et s'accompagner de moyens, d'hommes et de doctrines.

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