Intervention de Alice Maintigneux

Réunion du mercredi 17 novembre 2021 à 14h45
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Alice Maintigneux, administratrice de l'Association nationale des juges de l'application des peines (ANJAP) :

L'ANJAP est la seule association qui représente les 430 juges d'application des peines en fonction ainsi que les juges des enfants intéressés par les questions d'application des peines et les magistrats des chambres d'application des peines et des cours d'appel. Notre mission consiste à porter notre point de vue, faire connaître notre fonction de juge d'application des peines, ses contraintes et ses conditions de travail auprès des pouvoirs publics. Nous répondons également à des sollicitations médiatiques sur ces questions, alimentées par des échanges et réflexions sur la profonde technicité du droit de la peine.

L'ANJAP est depuis longtemps favorable à une refonte de l'échelle des peines dans une logique de décentrage de la peine d'emprisonnement. L'esprit de la loi dite Taubira de 2014 et de la loi de programmation judiciaire – LPJ – suit cette direction, mais elles comportent des contradictions et ne rendent pas le message lisible ni l'application simple.

Concernant la population carcérale, nous sommes en faveur d'une extension aux maisons d'arrêt du numerus clausus en vigueur dans les établissements pour peine. La surpopulation carcérale ne touche que les maisons d'arrêt, c'est-à-dire les établissements pénitentiaires sans numerus clausus dont l'administration est contrainte d'accueillir les détenus faisant objet de mandat de dépôt. Ces établissements ne disposent pas de limite d'entrée et les détenus s'y accumulent. Les taux d'occupation sont préoccupants et ont atteint 135 % en maison d'arrêt au niveau national. Ce taux est plus bas qu'avant la crise sanitaire, mais il n'est pas satisfaisant en matière de conditions d'encellulement, d'hébergement ou de prise en charge. Lorsqu'un détenu entre, il faudrait savoir quel détenu pourra sortir, comme au moment de la crise sanitaire. Un certain nombre de détenus peuvent sortir sans grande crainte pour l'ordre public et dans des modalités d'exécution de la peine plus intéressantes pour eux. Nous proposons d'adjoindre à ce numerus clausus une politique de régulation carcérale qui associerait l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale, les parquets de l'exécution des peines, les magistrats en correctionnelle, les juges d'application des peines et les juges des enfants qui prononcent des peines d'emprisonnement.

Concernant les causes et les conséquences de la surpopulation carcérale, je rejoins les précédents propos sur les incohérences des textes. Des lois s'intéressent stricto sensu à l'application des peines et se fondent, comme celle de 2014, sur la conférence de consensus, sur des travaux très précis. Cependant, la législation en matière pénale sur des questions plus éloignées perd de vue cet objectif de réduction de la surpopulation carcérale. De nouveaux délits sont créés, les sanctions sur les délits existants sont aggravées et les dispositifs des crédits de réduction de peine automatique sont mis à mal. Les peines effectivement exécutées en prison sont allongées. La loi pour la confiance dans l'institution judiciaire récemment adoptée entrera en vigueur en janvier 2023 sur la généralisation de la refonte du système de réduction de peine. L'étude d'impact réalisée dans le cadre de cette loi démontrait cependant qu'en se tenant au taux d'octroi de réduction de peine actuel, qui ne porte que sur les réductions de peine supplémentaires et donc optionnelles, et qui s'élève à 45 %, la population carcérale augmenterait de 10 000 détenus. Ce taux sera peut-être supérieur à 45 %, mais il faudrait qu'il atteigne 80 % pour parvenir à une baisse du nombre de détenus.

Ces mouvements contradictoires simultanés contribuent à faire de la prison la seule peine efficace aux yeux des magistrats et de l'opinion publique, en réponse à l'acte commis. Il est difficile de montrer qu'il existe des alternatives plus efficaces.

Nous souhaitons que la décorrélation entre l'infraction et la peine d'emprisonnement soit plus aboutie. Actuellement, la quasi-totalité des délits est punie de peines d'emprisonnement. En refondant l'échelle des peines, il aurait pu être dit que certains délits soient punis d'autres peines. Le principe qui demeure est celui de l'emprisonnement avec des alternatives possibles.

Les longues peines ne doivent pas être écartées dans l'examen des causes de la surpopulation carcérale. Les deux dernières grandes réformes n'ont pas souligné ce point. La surpopulation touche les maisons d'arrêt, où, aux côtés des détenus provisoires et des condamnés à courte peine, se trouvent des condamnés à une peine moyenne ou longue et qui attendent une place en établissement pour peine. Il faut dynamiser les parcours d'exécution de peine sur les longues peines afin de libérer l'un des vecteurs de sortie des maisons d'arrêt, qui est le transfert en établissement pour peine. La réflexion sur la surpopulation carcérale ne doit pas exclusivement se concentrer sur les courtes peines, qui doivent de leur côté être précisément définies, comme l'a souligné Mme Brugère.

Vous demandez si les magistrats refusent d'appliquer la loi. La LPJ avait pour but de réduire presque à néant la possibilité de prononcer des peines d'emprisonnement inférieures à un an, à l'exception de cas très précis. Pourtant, les peines de prison restent majoritaires. Je rappelle que, depuis l'entrée en vigueur de la LPJ, il est toujours possible de prononcer une peine d'un mois et d'un jour avec un mandat de dépôt en comparution immédiate ou en récidive de violence. Il est alors considéré que la situation de la personne ne permet pas l'aménagement de peine, pourtant possible dans les faits. Le système de comparution immédiate permet prononcer des peines inférieures à un an assorties d'un mandat de dépôt, ce qui n'est pas possible dans les autres modes de poursuite, avec la nuance du mandat de dépôt à effet différé. La comparaison immédiate a pris une ampleur très importante dans les modes de poursuite. Les personnes incarcérées avec une seule peine d'emprisonnement courte sont issues de comparaison immédiate. Une réflexion doit être menée sur les modes de poursuite et la place du traitement en temps réel. Il faut se demander si la comparution immédiate est nécessaire pour toutes les infractions qui en font l'objet, car une fois ce circuit lancé, il induit des conséquences en matière de peine prononçable et de mandat de dépôt.

Ainsi, l'idée de la LPJ consistait à éviter les courtes peines d'emprisonnement. Cependant, une des mesures essentielles a été de réduire le seuil des peines aménageables de deux ans à un an. L'interprétation est par conséquent difficile. Ce seuil peut être très vite atteint, notamment dans le cas de personnes condamnées par des juridictions différentes à échéance proche, ce qui arrive régulièrement en Île-de-France. La juridiction n'a pas toujours connaissance de la peine prononcée par une autre juridiction peu de temps auparavant, et alors qu'aucune de ces juridictions ne souhaitait envoyer la personne en prison, le seuil d'un an peut rapidement être atteint.

Un certain nombre de personnes incarcérées en exécution de courte peine le sont à la suite de carences de leur part, soit au moment du prononcé du juge, soit dans la procédure d'aménagement diligentée par le juge d'application des peines. Cette population fait face à des conditions de vie et d'hébergement instables et précaires. Les convocations sont parfois délivrées par courrier et ne sont pas reçues. Une réflexion doit être menée à ce sujet. Un système de rappel des convocations par SMS a par exemple été expérimenté par le SPIP de Nanterre, bien que toutes les personnes ne disposent pas d'un téléphone dont ils acceptent de communiquer le numéro. La réduction des délais d'audience permettrait de limiter ce problème de carence. Il ne faut pas négliger les raisons qui conduisent à ne pas rentrer dans les conditions d'aménagement ou du prononcé des alternatives, car l'absence lors de l'audience réduit ces possibilités d'individualisation de la peine.

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