Intervention de Marie-Line Hanicot

Réunion du jeudi 25 novembre 2021 à 10h55
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Marie-Line Hanicot, directrice interrégionale Grand-Ouest-Rennes :

M'appuyant sur le questionnaire qui nous a été adressé, je souhaiterais évoquer les spécificités du territoire dont je suis responsable. Ce dernier regroupe trois régions administratives, cinq cours d'appel, vingt-quatre établissements pénitentiaires et quatorze services d'insertion et de probation. L'animation en partenariat avec les autres administrations de l'État et avec les collectivités territoriales est donc complexe. Notre référent formation professionnelle doit par exemple entretenir des relations avec trois conseils régionaux différents. De même notre référent culture est en rapport avec trois directions régionales des affaires culturelles et notre référent santé travaille avec trois agences régionales de santé. Les personnels du siège doivent parfois effectuer des trajets de six heures aller-retour pour se rendre dans les établissements les plus éloignés, comme Dieppe ou Le Havre. Nous avons un chef de service pour chaque établissement pénitentiaire et chaque service de probation et d'insertion, soit un total de trente-huit.

Comme les autres interrégions, nous accusons une surpopulation carcérale importante avec notamment un taux d'occupation en maison d'arrêt de 118 % à Coutances, petit établissement organisé en dortoirs, et de 202 % à La Roche-sur-Yon, également organisé en dortoirs. Nous dénombrons un total de 279 matelas au sol dans l'interrégion.

Le taux d'extraction judiciaire au profit des juridictions est très insatisfaisant : le taux de carence ressortait par exemple à 17,25 % en octobre. Ces résultats très médiocres s'expliquent par des moyens alloués largement sous-dimensionnés. Les ETP – équivalents temps plein – sont répartis en fonction du nombre d'extractions judiciaires et la présence de deux tribunaux distincts dans chaque département nécessité un dédoublement des équipages pour présenter les détenus à leur juge. Les groupages sont plus complexes que dans les grandes agglomérations et les distances parcourues peuvent être conséquentes.

L'inscription croissante de nos publics dans le droit commun est à mes yeux l'une des importantes évolutions de ces dernières années. La loi pénitentiaire de 2009 implique une collaboration avec les autres administrations de l'État pour prévenir la récidive, sans oublier les collectivités territoriales et les associations. Le transfert de la santé aux hôpitaux constitue un progrès important par rapport à la médecine pénitentiaire que nous avons connue. Le transfert plus récent de la formation professionnelle aux conseils régionaux est une autre belle réussite. Notre public doit pouvoir bénéficier de la continuité de sa prise en charge par les dispositifs de droit commun. L'incarcération n'étant qu'un épisode de la vie des détenus, nous devons sécuriser la transition à l'entrée comme à la sortie.

La prise en compte croissante des droits des détenus est une autre évolution marquante : présence d'un avocat et d'un assesseur en commission disciplinaire, introduction du contradictoire dans de nombreuses procédures, consultation des détenus, réforme à venir du statut des travailleurs détenus, nouveaux textes sur les conditions indignes de détention, etc.

Je mentionnerai également la création des services pénitentiaires d'insertion et de probation, qui a permis de donner sa juste place au milieu ouvert. Un système de probation à la française est en cours de construction depuis quelques années. Nos conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation voient leurs compétences professionnelles s'accroître rapidement.

La diversification des établissements pénitentiaires et de leurs quartiers mérite d'être signalée, ce qui permet d'améliorer la prise en charge en mettant en œuvre des moyens pertinents tant du point de vue de la sécurité que de la nature du public. Je pense notamment au système de binômes créé chez les mineurs entre les éducateurs protection judiciaire de la jeunesse et les surveillants. Des quartiers spéciaux ont été créés pour les détenus violents ou encore pour prévenir la radicalisation. Je pense également aux SAS – structures d'accompagnement vers la sortie.

Les missions des personnels de surveillance tendent à se diversifier : surveillance électronique, extractions judiciaires en armes, etc.

Enfin, j'évoquerai la création des équipes régionales d'intervention et de sécurité, qui nous a permis de gérer de manière autonome tous les incidents graves recensés ces dernières années, et surtout d'en limiter la gravité. Les membres de ces équipes, qui sont avant tout des surveillants, sont animés par la volonté de laisser une situation sereine à leurs collègues en quittant un établissement.

Mon opinion sur le bilan de la politique pénitentiaire se fonde sur le constat d'un effet de balancier perpétuel, selon que la majorité au pouvoir instaure une politique sécuritaire ou au contraire basée sur l'insertion. Des orientations s'en retrouvent alors abandonnées avant d'avoir eu le temps de produire leurs effets. Pour éviter ce phénomène de balancier, je préconiserais d'établir un contrat social qui définirait clairement le périmètre d'une peine de prison, et qui permettrait de construire des références alternatives à l'emprisonnement.

Je prône également une meilleure cohérence entre la politique pénale et la politique pénitentiaire. La politique pénale ne tient pas suffisamment compte de l'offre pénitentiaire, en milieu fermé comme ouvert, ce qui nuit à la lisibilité de la politique pénale et fait perdre du sens à l'exécution de la peine.

Des efforts sont souhaitables au niveau de l'immobilier pénitentiaire – maintenance et construction de nouveaux établissements. La politique visant à construire des pénitenciers neufs et dignes doit absolument se poursuivre, y compris au-delà du quinquennat actuel. Il serait souhaitable que les dortoirs disparaissent. Il est pour moi anachronique de détenir huit personnes dans une pièce, même avec des toilettes séparées.

L'accès au droit commun des détenus en voie de réinsertion pourrait encore être amélioré, en renforçant les obligations de prise en charge de nos publics par les différents services. Nous nous retrouvons souvent contraints d'attribuer sur nos ressources propres des prestations substitutives pour nos publics, en particulier pour ce qui concerne l'accès au logement, du fait du mauvais fonctionnement de certains SIAO – services intégrés d'accueil et d'orientation.

Les actions ciblées vers les détenus invisibles doivent être multipliées ; je désigne par cette expression les détenus qui ont besoin d'actions adaptées. Je pense notamment au développement de l'insertion par l'activité économique en collaboration avec des ESAT – établissements ou services d'aide par le travail.

Je n'entrerai pas dans le détail pour ce qui concerne la surpopulation carcérale et les conditions de détention. Les trois leviers en milieu fermé sont bien connus : la création de nouvelles places, la rénovation des établissements et le développement des aménagements de peine, comme la systématisation des libérations sous contrainte. Nous devons être capables de présenter la variété de notre offre aux juges correctionnels : en s'inspirant de la plate-forme TIG 360°, il s'agirait de créer une cartographie permettant de connaître le nombre de places disponible en détention sur un territoire donné mais également en travail d'intérêt général, stage de citoyenneté, stage de sécurité routière, au sein des programmes de gestion des émotions ou de prévention de la récidive des violences, etc. Nous pourrions mettre en place des dispositifs d'exception là où les taux d'occupation sont les plus élevés.

Une conférence de l'exécution des peines pourrait se substituer au conseil d'évaluation, qui se limite aux établissements pénitentiaires.

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