Monsieur Poulliat, au sein de la préfecture de police, plusieurs personnes, et même plusieurs services, sont chargés de la prévention et de la lutte contre la radicalisation. Au sein de la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), il existe par exemple une cellule chargée d'analyser les signaux faibles qui remontent du terrain, notamment les signalements qui sont faits dans la rue. Cette cellule transmet les informations à la DRPP, pour que les faits graves soient immédiatement traités et fassent l'objet d'un suivi. La DRPP est donc aussi, par nature, un service de lutte contre la radicalisation – j'ai bien conscience qu'en disant cela, je me heurte à la réalité de l'attentat qui a eu lieu. Une division complète de la DRPP se consacre à cette question : on peut sans doute lui reprocher de s'être trop penchée sur ce qui se passait à l'extérieur, et pas assez sur ce qui se passait en son sein. D'autres personnes sont également chargées de la lutte contre la radicalisation : au sein de mon cabinet, un conseiller chargé de la prévention travaille, par exemple, sur les actions à mener en lien avec les collectivités locales. Vous le voyez, il n'y a pas un référent unique, mais de nombreuses structures et de nombreux canaux.
Vous m'interrogez sur le cas spécifique de Mickaël Harpon. Au risque de vous décevoir, monsieur le président, je ne peux pas vous l'expliquer et je me garderai de toute interprétation, tant que l'instruction n'aura pas établi les faits. Y a-t-il, dans le système policier, une tendance, sinon au secret, du moins à la discrétion ? Il y a sans doute, entre les fonctionnaires de police, une grande fraternité de travail. Je ne sais pas si elle explique le cas d'espèce, mais il est certain qu'elle joue beaucoup. Il y a toujours une réticence à aborder des questions de cette nature, parce qu'on pense qu'elles peuvent être réglées entre collègues. Le travail policier vous déconnecte un peu, non pas du monde réel, mais du monde fait d'horaires fixes et de week-ends que nos concitoyens connaissent. Dans ce contexte, la cellule de travail devient fondamentale et cela peut effectivement expliquer certaines réticences.
Ma circulaire du 7 octobre avait précisément pour but de rappeler que les problèmes ne se règlent pas au sein de petits groupes et qu'il faut passer par la hiérarchie de la préfecture de police : c'est à elle de prendre ses responsabilités en matière de suivi des cas de radicalisation. Je ne veux pas que ces questions soient traitées au niveau des services.
Monsieur Habib, vous dites que sept minutes, c'est très long, mais comme cela paraît court, quand on les vit en direct ! De nombreux fonctionnaires de police sont armés lorsqu'ils vont de leur domicile à leur lieu de travail, mais très peu le sont à l'intérieur de la préfecture de police, qui est réputée sûre – elle l'était, du moins, jusqu'à l'attentat. Lorsqu'ils arrivent, les fonctionnaires déposent généralement leur arme dans un coffre, et rares sont ceux qui la portent à la ceinture – même si j'en observe davantage ces derniers temps. Une fonctionnaire de police qui a croisé l'assassin pendant l'attaque m'a d'ailleurs dit s'en être beaucoup voulu, et s'en vouloir encore, de ne pas avoir été armée. Le fait que la plupart des fonctionnaires ne soient pas armés a représenté une difficulté. Je note toutefois que le fonctionnaire de garde qui a neutralisé Mickaël Harpon a parfaitement joué son rôle : il a fait preuve d'un grand sang-froid, en dépit de son extrême jeunesse administrative, puisqu'il n'était là que depuis six jours.
Ce qui est certain, c'est que nous n'avons envisagé les questions de surveillance de la radicalisation et de sécurité qu'à l'extérieur, et non à l'intérieur de la préfecture de police. Lorsque j'ai été prévenu de l'attaque, j'ai d'ailleurs pensé que nous étions attaqués de l'extérieur et j'ai immédiatement demandé de sécuriser la périphérie de la préfecture. Nous n'avions pas de dispositif destiné à faire face à une tuerie de masse à l'intérieur même de nos locaux. Nous sommes en train de prendre des dispositions en ce sens. Dans la mesure où la préfecture de police accueille un public nombreux, je veux m'assurer de l'étanchéité des systèmes de circulation des fonctionnaires et du public. L'enceinte de la préfecture de police est très vaste et compte de multiples accès et j'ai décidé, pour des raisons de sécurité, de créer un accès réservé aux seuls fonctionnaires : il sera ouvert d'ici quinze jours. Pour bien comprendre d'où l'on part, il faut tout de même rappeler qu'une bouche de métro se trouvait, il y a quelques années encore, dans la cour de la préfecture de police… La caserne de la Cité, qui date du XIXe siècle, n'a jamais été conçue comme un système bouclé, mais nous prenons actuellement des dispositions pour limiter les risques d'attaques.
Je ne peux pas répondre sur les faits, mais je peux dire un mot de l'état d'esprit qu'il faut avoir. Je vous l'ai dit et je le répète : nous ne devons avoir aucun tabou lorsque nous interrogeons, entre fonctionnaires, les phénomènes de radicalisation, car c'est la sécurité collective et individuelle qui est en jeu. J'explique d'ailleurs aux fonctionnaires qui font l'objet d'un signalement qu'il est normal que la collectivité de travail s'interroge. Mon devoir de chef est de m'assurer que toutes les mesures de sécurité sont prises pour garantir au mieux la sécurité des fonctionnaires. Je le leur dois, en tant que responsable du dispositif.