Intervention de Jean‑Pierre Blazy

Réunion du mercredi 15 janvier 2020 à 14h40
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant conduit aux attaques commises à la préfecture de police de paris le jeudi 3 octobre

Jean‑Pierre Blazy :

Je vous remercie de me recevoir. Les attaques commises à la préfecture de police ont été tragiques pour le pays, mais aussi pour ma commune, dans la mesure où leur auteur était l'un de ses habitants. Rien ne pouvait me laisser prévoir que l'auteur de l'attaque du 3 octobre dernier ait pu être un habitant de Gonesse. Je ne connaissais, par ailleurs, pas personnellement l'existence de Mickaël Harpon, ni sa fréquentation de la salle de prière de Gonesse. Je ne disposais d'aucune information me permettant de suspecter des risques de radicalisation d'une manière plus générale.

En tant que maire, j'entretiens avec l'association des musulmans de Gonesse les mêmes relations qu'avec les cultes catholique et juif : celles d'un maire soucieux de l'esprit comme de la lettre de la loi de 1905 et de la laïcité. Je réponds aux invitations qui me sont faites à certaines occasions, la plus régulière étant celle de la fête de l'Aïd. La ville met alors à disposition pendant quelques heures un gymnase, puisqu'il s'agit d'un grand rassemblement et qu'il n'y a pas encore de mosquée à Gonesse. C'est à ce moment particulier que je rencontre l'imam Hassan El Houari qui, depuis de nombreuses années, assure la prière du vendredi. Cet imam a été très souvent présent, avec les dirigeants de l'association, lors des initiatives citoyennes que nous avons organisées assez régulièrement autour de la promotion des valeurs républicaines et de la laïcité. Nous l'avons fait bien avant les premiers attentats de 2015, par exemple, lorsque le débat dans ma commune s'était engagé sur la restauration scolaire, il y a une dizaine d'années.

En revanche, je ne connaissais pas particulièrement M. Ahmed Hilali, encore moins le fait qu'il ait pu être un imam fondamentaliste, comme cela a été dit. Les dirigeants de l'association m'ont précisé, lorsque je les ai interrogés après les événements, que son recrutement était intervenu le 20 mars 2017 – date de la signature de son contrat. Il est donc inexact de dire que cet imam a dirigé la mosquée de février à décembre 2017. Il est en revanche toujours salarié de l'association. Un avenant à son contrat, signé le 2 mai 2018, lui permet d'enseigner l'arabe. On sait que M. Hilali a été placé en garde à vue le 14 octobre et relâché le 16 sans aucune charge retenue contre lui. L'ancien président de l'association des musulmans de Gonesse, qui a démissionné en novembre dernier, tout comme le nouveau, qui avait recruté l'imam en 2017, nous ont déclaré qu'ils étaient prêts à se séparer de M. Hilali si des faits lui étaient reprochés. M. Hilali avait refusé une proposition de rupture conventionnelle qui lui avait été faite par l'ancien président, ce qui avait provoqué des difficultés au sein de l'association.

Lorsque la tuerie de la préfecture de police a eu lieu en octobre dernier, j'étais donc loin de pouvoir imaginer l'existence d'éventuelles pratiques fondamentalistes dans ce lieu de prières. Cela fait plusieurs années que nous discutons avec l'association, afin de mettre au point leur projet de construction d'une mosquée, dans le respect scrupuleux de la loi de 1905. Dans cette perspective, la ville a vendu à l'association musulmane de Gonesse un terrain dans le quartier de la Fauconnière au prix des domaines. La surprise a été totale pour moi. Avec le préfet, il a fallu gérer, dans la semaine qui a suivi, la tentative inopportune de M. Traoré d'organiser une manifestation devant l'hôtel de ville, qui a été interprétée par les médias et l'opinion publique comme une manifestation de soutien à Mickaël Harpon. Cette manifestation a finalement été interdite.

L'article d'Aziz Zemouri dans Le Point du 6 octobre révélant que l'imam Hilali était fiché S a également contribué à mettre la pression médiatique sur la ville. Un maire, on en conviendra, même ancien parlementaire, n'est pas spontanément prêt à affronter une situation de ce type. Je n'avais aucune information. Quant au préfet, à ce moment-là, il ne pouvait répondre à toutes les questions que je me posais. Il était difficile, dans ces conditions, de communiquer avec les médias. J'ai alors refusé, à la différence d'autres élus qui ont couru les plateaux de télévision, de commenter à chaud, étant encore largement dans l'ignorance des choses et de leur explication.

Le 9 octobre, la lecture de l'article du Canard enchaîné, intitulé « La vraie fausse barbe du terroriste de la Préfecture », m'a stupéfié : « [...] la mosquée de Gonesse était particulièrement surveillée par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et par le Renseignement territorial : plusieurs de ses fidèles, en effet, étaient partis se battre en Syrie auprès de DAECH ! L'un de ses anciens imams, que fréquentait l'informaticien, était par ailleurs fiché S. […] L'information n'est pas parvenue, semble-t-il, aux oreilles de la DRPP : contrairement au reste de la région francilienne, le Val‑d'Oise n'est pas de son ressort... » Je ne sais toujours pas ce qui était vrai ou pas dans les révélations du Canard enchaîné. On sait maintenant que Mickaël Harpon était plutôt un solitaire, y compris lorsqu'il venait à la salle de prières sans se faire remarquer, aux dires des responsables de l'association.

Avant même la circulaire du 13 novembre 2018, en particulier depuis 2015, comme beaucoup de maires sans doute, il m'arrivait d'interroger oralement le sous-préfet pour savoir si des personnes étaient fichées S dans ma commune. Régulièrement, on me répondait, de façon rassurante, par la négative. La question qui se pose est bien celle du niveau d'information d'un maire et de la manière dont il peut ou doit être associé. Le 22 mai 2018, le Président de la République déclarait : « Il est normal que le préfet ait maintenant de manière systématique [...] un dialogue avec les maires pour pouvoir échanger sur ces situations. » Le Président évoquait alors les personnes recensées au sein du fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). L'ancien procureur de la République de Paris, François Molins, s'était montré plus clair en affirmant qu'il estimait légitime et évident que le maire d'une commune sache qu'il y a un individu fiché S dans sa commune. Je regrette l'occasion manquée de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, qui aurait pu comporter un volet plus étendu sur la relation avec les maires.

L'application de la circulaire du 13 novembre 2018 qui reconnaît que « le maire est fondé à disposer d'une information régulièrement actualisée sur l'état de la menace terroriste sur le territoire de sa commune » mériterait une première évaluation. Pour ce qui est de ma commune, elle n'a été d'aucun effet. Sans vouloir incriminer tel ou tel responsable, préfet ou sous-préfet, je considère que le conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), même sous la forme d'une réunion restreinte, n'est pas la modalité la plus adaptée. Notre CLSPD n'a jamais été une instance dans laquelle il est procédé à des échanges d'informations sur les cas de radicalisation ni même sur des signes de radicalisation, des signaux faibles. Nous ne devons pas entretenir la confusion entre délinquance et radicalisation. Bien évidemment, il y a dans certains cas des rapports étroits entre délinquance, criminalité et radicalisation violente. Mais, dans ma commune, il n'y a aucun lien avéré. Un tel dispositif ne permet pas de travailler réellement sur la prévention de la radicalisation. La charte de confidentialité m'avait été proposée oralement, sans qu'il y ait de suite, peut-être parce que, jusqu'à l'affaire de la préfecture de police, ma commune n'était pas considérée à risques par les services de l'État.

Quoi qu'il en soit, je pense qu'il y a des réticences de la part des responsables du côté de l'État à mettre en œuvre cette circulaire. On se méfie un peu des maires, parfois à raison. Mais je pense que c'est la loi qui devrait définir les principes, les conditions et les modalités de la nécessaire coproduction entre l'État et les collectivités locales dans le domaine de la prévention de la radicalisation. La loi pourrait préciser les responsabilités des maires et, en cas de besoin, prévoir des sanctions pénales.

Si la détection des cas de radicalisation doit et ne peut se faire que dans la proximité, comme l'a déclaré le préfet Delpuech lors de son audition par votre commission d'enquête, il faut convenir que les élus locaux avec les services déconcentrés de l'État peuvent et doivent constituer le premier échelon de la remontée d'informations. On n'a pas réussi dans notre pays à mettre en place une coproduction partenariale de la sécurité publique. Pour les mêmes raisons, on ne réussit pas à concevoir une coproduction partenariale sur la prévention de la radicalisation – cela fonctionne peut‑être en théorie, mais pas du tout sur le terrain. On a voulu rattacher la prévention de la radicalisation à la prévention de la délinquance, tant au niveau national qu'au niveau local. Cette erreur nous a fait perdre sur les deux plans.

Mais il y a aussi d'autres freins, en particulier celui des moyens du renseignement dans les départements. Le Val‑d'Oise ne fait pas partie des départements de la police d'agglomération, qui a en quelque sorte reconstitué l'ancien département de la Seine. Le renseignement territorial dans mon département, c'est cinquante fonctionnaires et la sécurité intérieure, vingt. L'effectif notoirement insuffisant de la sécurité intérieure pourrait, selon le préfet, être doublé prochainement. Le Val‑d'Oise totalise une population de 1 244 000 habitants, en forte croissance, avec la population la plus jeune de France métropolitaine, devant la Seine‑Saint-Denis. Je ne suis pas sûr que les services du renseignement dans le Val‑d'Oise puissent assurer toutes leurs missions dans les meilleures conditions. La question de la formation est également essentielle : il faudrait sans doute plus d'officiers, de cadres et de spécialistes connaissant suffisamment l'islam.

Je souhaiterais terminer en exprimant deux convictions. La première est celle de l'urgence sociale dans nos quartiers. Je suis le maire d'une banlieue très proche de la Seine‑Saint-Denis, qui en a toutes les caractéristiques, sans bénéficier pourtant d'un plan d'urgence, ni même d'une attention suffisante de l'État. Un mois après l'affaire Harpon, après une décision prise au plus haut niveau, un projet sur lequel on travaillait avec l'État depuis deux quinquennats a été abandonné. Sentant venir cette décision qui allait nous porter préjudice, j'avais adressé au Président de la République, le 11 octobre, le message suivant : « Monsieur le Président, je suis maire de Gonesse. Le fait que Mickaël Harpon qui a tué 4 agents de la Préfecture de police soit habitant de Gonesse doit attirer notre attention sur la situation sociale de nos banlieues. Europa City n'est peut-être pas un projet parfait, mais il apportera des emplois dans un territoire cumulant les difficultés de la Seine‑Saint-Denis sans plus attirer l'attention. Il apportera la seule gare de métro Grand Paris du Val‑d'Oise. Je me tiens à disposition de vos conseillers. Sincèrement, Jean-Pierre Blazy. » Ce message a reçu pour toute réponse le renoncement annoncé le 7 novembre, un mois presque jour pour jour, après les meurtres de Mickaël Harpon.

Si nous sommes largement d'accord sur la question de la délinquance et de la criminalité, pour ne pas cultiver l'excuse sociale et pour affirmer que le délinquant est un individu responsable de ses actes, il apparaît indispensable de considérer que les causes sociales ou socio-culturelles de la délinquance doivent être autant traitées que les manifestations de la criminalité. Il en va de même s'agissant du terrorisme. La personne qui s'est radicalisée est un individu responsable de ses choix et ensuite de ses actes de violence, mis à part celui qui présente des troubles psychiatriques profonds avérés. Je considère que l'appel incantatoire à l'autorité et le rappel banalisé à l'ordre républicain atteignent leurs limites dans une société démocratique et ne suffisent plus. Les historiens et les sociologues ont suffisamment démontré que la délinquance avait des causes sociales telles que la frustration sociale, le sentiment d'injustice, le repli identitaire et communautaire.

Ma seconde conviction, c'est celle de l'urgence républicaine, qui est aussi une urgence démocratique. L'indispensable reconquête républicaine nécessite la présence réelle d'une police qu'on appelait il n'y a pas si longtemps « de proximité », au contact de la population et capable de faire du renseignement de premier niveau. Ma ville est toujours officiellement en zone de sécurité prioritaire, mais ne bénéficie pas d'une police de sécurité du quotidien (PSQ). Les effectifs du commissariat sont insuffisants, et les dernières sorties d'écoles de police sont allées essentiellement nourrir les rangs de la police d'ordre public au détriment de la police de sécurité publique. La grave erreur a été l'abandon des quartiers. On a souvent constaté que les proches des terroristes étaient au courant de leurs intentions. Or, aujourd'hui, dans un quartier, on n'a guère l'occasion de parler à un policier.

Elle nécessite aussi une politique éducative et sociale forte qui insère et qui rassemble, afin de sortir les populations des quartiers de l'exclusion. Pour beaucoup de personnes, la religion représente aujourd'hui ce que la République était hier : un vecteur d'intégration et de réussite qui offre un cadre et des valeurs.

Elle nécessite enfin le renforcement de la cohésion nationale autour des principes de sécularisation de la société française. La liberté religieuse ne peut s'opposer aux valeurs de la République et ne peut justifier la haine et les discriminations. Il serait temps d'être clair et ferme et de se donner les moyens d'agir et de réussir. J'aurais aimé que le service national universel (SNU), en phase d'expérimentation, soit développé plus rapidement et largement. À Gonesse, un service civique jeunes municipal existe depuis 2008. Les résultats sont intéressants. Il faut impérativement redonner à notre jeunesse des repères que l'école seule ne peut fournir dans une société en manque de cohésion civique, sociale et nationale. C'est la meilleure des préventions primaires contre le risque de radicalisation et un investissement que la République doit faire pour elle‑même.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.