Intervention de Patrick Calvar

Réunion du mardi 28 janvier 2020 à 18h00
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant conduit aux attaques commises à la préfecture de police de paris le jeudi 3 octobre

Patrick Calvar, ancien directeur général de la sécurité intérieur :

Mesdames, messieurs les parlementaires, il est très difficile pour moi de tenir un propos liminaire sur le sujet qui vous occupe, dans la mesure où je n'étais plus en fonction, quand s'est déroulé ce tragique événement.

C'est en effet un long chemin, monsieur le président, et sa topographie est celle des montagnes russes : on passe par des phases très négatives, on a soudain l'impression qu'il y a une accalmie puis, le mal n'étant pas soigné, il refait surface rapidement sous des formes différentes. En lisant la presse, j'ai cru comprendre que des interpellations avaient encore eu lieu récemment, qui ont permis de contrecarrer un nouveau projet terroriste. La menace perdure, donc, et elle n'est pas près de cesser.

À mes yeux, le terrorisme a toujours été le résultat d'une situation internationale dégradée et de problèmes intérieurs spécifiques auxquels il faut faire face ; il n'a jamais été que l'expression ultime de la radicalisation. Il faut donc prendre en compte les faits de radicalisation et lutter contre ces nouvelles formes de menaces afin d'en diminuer l'intensité.

Je dirai quelques mots sur l'habilitation et le contrôle des personnels en interne, car je sais que ces sujets vous préoccupent. Je suis pour ma part un enfant de la direction de la surveillance du territoire (DST), né au moment de la guerre froide, et ma carrière a commencé par une affectation au contre-espionnage.

Dès cette époque, nous avions conscience que l'ennemi pouvait être à l'intérieur, mais il s'agissait alors de personnes susceptibles d'avoir été recrutées par les services de renseignement soviétiques, ou ceux des pays du bloc soviétique ou du Pacte de Varsovie. Nous avons donc toujours eu conscience de la nécessité de nous prémunir contre les dangers qui guettaient. La menace persiste aujourd'hui, bien plus insidieuse, et requiert toute notre attention.

Vous le savez sans doute parfaitement, l'espionnage cause des dégâts incommensurablement supérieurs à ceux que produit le terrorisme. Le terrorisme se voit ; l'espionnage ne se voit pas, mais vise à porter atteinte à nos intérêts fondamentaux et touche à notre souveraineté. Il menace notre recherche, nos emplois, notre économie, notre diplomatie, c'est-à-dire notre place dans le monde.

Ce qui est particulièrement inquiétant aujourd'hui, c'est que nos adversaires bénéficient de moyens autrement supérieurs à ceux dont ils disposaient auparavant. Sont désormais privilégiées les attaques informatiques, qui sont particulièrement difficiles à déceler. Et lorsqu'elles le sont, il est très ardu de connaître l'ampleur des dégâts, et plus encore d'en attribuer l'origine à un service, donc à un pays.

En matière de lutte antiterroriste, tout le monde est à peu près convaincu que nous sommes dans le bon camp, et la coopération est donc totale. En matière de souveraineté, en revanche, si on a des alliés, on a très peu d'amis.

Quand j'ai pris mon premier poste au sein de la direction de la DST, il y avait déjà un service de sécurité interne responsable de l'habilitation au secret défense des fonctionnaires qui nous rejoignaient. Ce service était en outre chargé d'enquêter plus avant sur les personnels dont on pouvait douter de l'intégrité en raison d'éléments nouvellement connus.

Quand la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) a été créée par la fusion des renseignements généraux (RG) et de la DST, ce service est demeuré, et a conservé les mêmes attributions. Lors de la création de la DGSI, j'ai insisté pour qu'on passe à un stade supérieur. Une inspection générale a donc été créée avec pour mission d'habiliter tous les personnels de la direction, fonctionnaires et contractuels, et de suivre leur évolution, c'est-à-dire d'être alertée par différentes sources, différents moyens lorsque l'un d'eux pouvait représenter un danger pour le service.

J'ai évoqué tout à l'heure ce qu'on appelle plus communément les taupes, mais des personnels pouvaient aussi poser problème du fait de leur radicalisation, et c'est précisément ce qui intéresse cette commission d'enquête, ou par un comportement relevant du droit commun. De tels profils n'ayant évidemment pas leur place dans un service de renseignement, le directeur général disposait de la possibilité de retirer immédiatement l'habilitation ; s'il s'agissait d'un fonctionnaire, celui-ci était remis à la disposition de la police nationale, et un agent non titulaire se voyait quant à lui signifier la fin de son contrat.

Une personne à laquelle on retire l'habilitation n'est pas nécessairement quelqu'un qui a commis une faute. Ce peut être simplement quelqu'un qui présente des failles. Du temps où j'étais encore en fonction, la presse a très souvent critiqué le retrait ou le refus d'habilitation concernant des personnes binationales. Or, celles-ci peuvent être considérées comme étant sujettes à d'éventuelles pressions, et présenter un risque trop important pour le service, sans qu'elles aient pour autant commis de faute. Les pressions peuvent être d'ordre familial ou amical, ou encore liées à l'environnement dans lequel elles évoluent.

Cette vision a donc toujours prévalu, étant entendu qu'elle peut s'appliquer un peu différemment au sein de la communauté du renseignement, chaque service étant libre de recruter ses personnels et de les habiliter ; c'est du moins le cas à la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP).

J'ajoute enfin que si l'inspection générale de la sécurité intérieure s'occupe de la DGSI, un service distinct est chargé de l'habilitation des autres fonctionnaires de l'État, notamment les autres policiers, pour les trois niveaux de classification du secret de la défense nationale ; confidentiel, secret, très secret.

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