Intervention de Patrick Calvar

Réunion du mardi 28 janvier 2020 à 18h00
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant conduit aux attaques commises à la préfecture de police de paris le jeudi 3 octobre

Patrick Calvar, ancien directeur général de la sécurité intérieur :

Entendons-nous bien : la radicalisation n'est pas uniquement islamiste. Elle est aussi le fait des black blocs, ou des extrémistes politiques.

L'important, après la culture du renseignement, qui passe par la formation, c'est de disposer d'une structure en mesure de procéder à une évaluation objective. Si cette dernière fait ressortir des éléments à charge suffisants pour retirer une habilitation, la décision relève alors de la responsabilité du chef de service, et n'a pas nécessairement de conséquence sur la carrière. On considère simplement que la personne n'a plus sa place dans un service de renseignement parce qu'elle présente une faille. Si un agent épouse la fille d'un fonctionnaire chinois, ça n'ira pas plus loin qu'un retrait. La sécurité d'un service englobe un spectre beaucoup plus large que le phénomène islamiste.

Les moyens existent. Souvent, dans ces affaires, ce qui n'est pas compris c'est qu'un retrait d'habilitation n'est pas une sanction ; ce n'est qu'une mesure de protection d'un service. J'ai longtemps travaillé au contre-espionnage, où j'ai démarré ma carrière. On s'est aperçu qu'il pouvait toujours y avoir des failles : dans les faits, les comportements inappropriés sont toujours plus ou moins repérés, mais il est très difficile de demander à un agent de dénoncer son collègue, qu'il côtoie à longueur de journée et qui est parfois même son copain. Il est difficile d'avoir une vision objective dans ces conditions. J'imagine que c'est ce qui s'est passé à la préfecture de police. Moi qui ai travaillé quarante ans dans les services de renseignement, j'ai été le premier à agir ainsi.

Il est donc nécessaire d'avoir une structure de contrôle qui soit complètement en dehors du milieu de travail, hors champ, pour porter un regard froid, chirurgical, afin d'apprécier le risque. On dispose en outre aujourd'hui de nouveaux moyens de contrôle : on peut chercher via l'outil informatique ce qu'une personne a fait.

L'enquête d'habilitation donne le droit à un agent de venir dans un service et d'y travailler. Le besoin d'en connaître nous donne le droit de vérifier si la personne fait autre chose que ce pour quoi elle a été mandatée dans le service, ce qui doit faire l'objet d'un suivi permanent. Le fait d'imposer un renouvellement des habilitations tous les ans ne changerait rien au problème.

Tous les grands services de renseignement disposent d'une structure de contrôle et d'enquête interne, et certains agents passent tout de même à travers les mailles du filet. L'un des plus gros traîtres de l'Agence centrale du renseignement américaine (CIA), Aldrich Ames, est passé des dizaines de fois au détecteur de mensonges sans jamais faire sonner la machine.

J'y reviens sans cesse : les services de renseignement, c'est d'abord une culture. Bien sûr, il y a la procédure d'habilitation, mais celle-ci ne peut jamais être exhaustive. Bien sûr, il y a aussi le besoin d'en connaître, mais il faut que chacun soit imprégné de son environnement, de la culture du renseignement, et garde un œil sur ce que fait le voisin. Il ne s'agit pas pour autant de tomber dans la paranoïa, d'où la nécessité d'un organe neutre.

Du temps où j'étais en fonction, des articles de presse m'avaient mis en cause en soutenant que je ciblais certaines populations dans mes décisions de retrait d'habilitation. Or, je le répète, un retrait n'est rien d'autre qu'une inaptitude à servir dans le renseignement, en raison du risque encouru, à la fois pour le service et pour la personne elle-même.

Prenons l'exemple d'un agent qui épouse quelqu'un dont les parents sont bien placés dans le système chinois ; s'il travaille dans un service de renseignement, il devient automatiquement une cible, et représente donc un risque pour le service et pour lui-même.

Ce qui est très compliqué aujourd'hui dans les services, et c'est la raison pour laquelle j'insiste beaucoup sur les aspects culturels, c'est que tout le monde s'expose sur les réseaux sociaux, et qu'il est très difficile d'obtenir des agents qu'ils cessent de le faire. Publier en continu des photos, des éléments de sa vie personnelle, c'est devenir une cible permanente pour les services étrangers, pour les terroristes. Et en agissant ainsi vous mettez en danger non seulement votre propre personne et votre famille, mais aussi le service.

Ce qui importe donc, outre l'organisation des structures, c'est la culture du renseignement. Ce n'est pas un hasard si les Anglo-saxons ont retenu le terme d'« intelligence » pour la dénomination de leurs services.

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