Je ne connais pas les réflexions en cours sur le sujet. J'ai cependant l'intuition suivante. Il existe un contentieux sur la consultation des fichiers les plus sensibles, ceux dont la caractéristique est de n'avoir même pas été publiés au Journal officiel. De mémoire, il s'agit d'un cas pour le ministère de l'Intérieur et de trois cas pour le ministère de la Défense. Ces personnes demandent donc à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) s'ils sont fichés. Nous avons longtemps buté sur cette impossibilité.
Si nous souhaitions contrôler ce que dit la CNIL, avec une procédure spécifique qui indiquerait qu'il a été procédé aux vérifications, et qu'il n'y a rien à déclarer, ou que le nécessaire a été fait, il faudrait être habilité secret défense. Cette procédure est très spécifique et ne concerne que très peu de cas. Cette procédure très rare a été bâtie sous le sceau d'une relative exceptionnalité.
La difficulté est que, sans pouvoir parler de contentieux de masse, il faudrait peut-être s'intéresser aux tribunaux en première instance. Il faudrait bâtir une procédure totalement étanche. L'œil en surplomb de la Cour européenne des droits de l'homme et des grands principes pèserait sur nous. Le contradictoire est fondamental, et le Conseil d'État y tient particulièrement. Il y va de l'égalité des armes entre les parties et des droits de la défense.
Il existe aussi un mécanisme à la section du contentieux, au Conseil d'État, nommé « Hüberschwiller », qui concerne la communication des documents administratifs, hors les domaines habilités secret défense. Pour trancher, le juge fait un avant dire droit, il ne se prononce pas et suspend son jugement, le temps d'accéder aux documents en question, puisqu'ils constituent la matière même du contentieux. Dans le cas qui nous intéresse, les documents ne sont pas communicables. Le juge estime alors si cela porte préjudice au contradictoire ou non. Voilà le critère qui permet ensuite au juge de se prononcer. Cette procédure est très spécifique. Ce temps préparatoire permet de vérifier si les documents sont bien communicables ou non.
Ces matières sont très délicates. Je constate que ces affaires pourraient virtuellement devenir assez nombreuses et intéresser des juridictions de premier ressort, ce qui rend d'autant plus nécessaire l'élaboration d'une telle procédure, capable de passer les obstacles constitutionnels ou conventionnels et d'assumer tous les problèmes de connexion ou de combinaison.
La sixième question demandait si nous avions été consultés pour la rédaction du guide diffusé en octobre par les services du Premier ministre, relatif à la mise en œuvre de ces dispositions, et s'il nous était possible de le transmettre. Nous n'avons pas été consultés, et nous ne pouvons le transmettre, car si je l'ai eu en main, c'est de façon tout à fait officieuse. Il est à diffusion restreinte et se présente comme un guide pour les administrations, afin qu'elles aient un comportement homogène. Cependant, ces dispositions se tiennent rigoureusement en deçà de l'article L. 114-1 du CSI, malgré tout l'intérêt que présente ce guide pour les administrations civiles et militaires. Je vous suggère donc de demander sa transmission directement à son auteur, le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).
Les administrations, faute de pouvoir produire des éléments confidentiels, rencontrent une difficulté. Nous en avons parlé.
Je cite votre dernière question : « En matière de refus ou de retrait d'habilitation à connaître des informations classifiées, quelle est la fréquence du contentieux devant le Conseil d'État ? » Elle est très faible. Je n'ai trouvé qu'une décision datant de 1997, qui rappelle le respect du secret défense pour les documents classifiés. Je n'ai pas trouvé d'autre contentieux d'importance depuis.
Quant aux pistes de réforme pour mieux lutter contre la radicalisation, voilà une question un peu large.