La délégation générale à l'éthique de la RATP a été créée le 1er décembre 2015, soit quelques jours après les attentats du Bataclan qui ont donné lieu à une campagne de presse assez virulente contre l'entreprise. À la suite de cette campagne et de la création par Mme Élisabeth Borne, la présidente de la RATP de l'époque, de la délégation, il a été décidé de prendre ce problème à bras-le-corps.
Non que rien n'ait été fait par le passé. En effet, dès 2005, une clause de laïcité avait été introduite dans les contrats de travail. De plus, en 2013, un guide pratique avait été diffusé aux managers sur ce sujet. Cela montre que ces questions avaient été perçues et étaient connues, mais n'avaient sans doute pas été suffisamment prises en compte.
À la suite des événements de 2015, nous avons mis en place dès le mois de février 2016 un plan global intitulé « travailler ensemble ». Comme nous avions été très violemment attaqués, il fallait répondre de façon très cohérente. Ce plan partait donc du recrutement, puis passait par l'étape de stage dite « année de commissionnement ». Il consistait également à introduire dans les évaluations annuelles des items sur les thèmes des valeurs et du respect de la laïcité et à mettre en place un plan complet de formation touchant autant l'encadrement supérieur que les managers de proximité, les apprentis et les tuteurs. L'idée était de réaffirmer le principe de laïcité, que nous conjuguons toujours avec les principes de neutralité et de non-discrimination à l'égard des femmes.
Nous avons tenu également à rappeler leurs obligations aux entreprises privées qui interviennent pour nous.
Tout l'enjeu était de réaffirmer une règle claire et forte, de faire en sorte que l'encadrement se sente soutenu s'il identifiait des problèmes et les faisait remonter, et de faire de la pédagogie – notamment à travers la formation. En effet, les questions liées à la laïcité sont compliquées. Nous pouvons imaginer que certaines des personnes recrutées ne les maîtrisent pas bien. Il faut donc expliquer pourquoi la laïcité existe en France, et comment elle s'applique dans une entreprise ayant une mission de service public.
Un volet « sanctions » a également été prévu, qui doit s'appliquer à partir du moment où nous constatons que les conditions du travail ensemble ne sont pas respectées.
Voilà la politique qui a été mise en place de façon systématique depuis le début de l'année 2016.
Au bout de quelques années, comment pouvons-nous en évaluer les résultats ?
Au total, quatre éléments sont à prendre en compte.
Le premier est la perception que nous pouvons avoir, que je peux avoir lorsque je me déplace dans les unités territoriales, lors des discussions avec les directeurs de centres et les équipes de cadres, où je n'entends pas dire que le problème de la laïcité est très présent. Le problème des incivilités des usagers à l'égard des conducteurs l'est en revanche bien davantage.
Le deuxième outil d'analyse est l'évolution des sanctions. Nous effectuons un recensement régulier des sanctions prises pour des comportements non conformes à la laïcité. Et l'on s'aperçoit que, si les sanctions ont été naturellement plus fortes début 2016 et en 2017 – allant jusqu'à cinq à six licenciements pour ces raisons –, elles ont ensuite diminué. Les licenciements étaient ainsi au nombre de deux en 2018. Et un seul licenciement a eu lieu en 2019.
Comment faut-il interprété l'évolution de ce chiffre ? Notre analyse est la suivante : nous avons montré que nous étions capables de sanctionner pour ces sujets, et cela s'est su à l'intérieur comme à l'extérieur de l'entreprise. La diminution du nombre de sanctions fortes s'explique à notre sens par le fait que les managers interviennent maintenant dès qu'ils perçoivent quelque chose qui peut s'assimiler à un non-respect des principes de laïcité et de neutralité. C'est la consigne que nous leur donnons. S'ils constatent un comportement ou un événement anormal, ils doivent intervenir immédiatement pour rappeler les valeurs de l'entreprise, les principes de laïcité et de neutralité, et demander à la personne concernée de changer son comportement.
Nous sommes très modestes. Nous savons que ce problème est compliqué. Nous ne prétendons donc pas avoir réglé tous les problèmes dans l'entreprise. Mais nous pensons que nous avons outillé les managers pour leur donner la possibilité d'intervenir tout de suite et de désamorcer les problèmes.
Cela nous a été confirmé par deux regards extérieurs. D'une part, celui du sociologue Alain Mergier, auquel nous avons confié une mission d'étude sur quatre centres bus, centrée sur l'évolution de la diversité : il nous a dit que les mesures que nous avions prises avaient porté leurs fruits et nous a donc confortés dans cette analyse.
Il s'agit d'autre part du livre de Denis Maillard paru fin 2017 intitulé Quand la religion s'invite dans l'entreprise, dont le premier chapitre « Métro, boulot, credo », est consacré à la RATP et retrace son évolution. Ce chapitre se conclut en disant qu'il n'y a jamais eu d'islamisation de la RATP, comme certains le prétendaient, et que les fantasmes ont été très nombreux autour de cette entreprise.
Denis Maillard et Alain Mergier soulignent tous deux que les managers ont désormais l'intelligence de la situation leur permettant d'intervenir. Cela nous permet de penser que, si tant est que quelqu'un se radicalise, il est tout de suite identifié et remarqué.
La RATP est citée dans la presse dès qu'un problème se produit dans le pays. Nous regrettons que les exemples donnés ou les anecdotes rapportées à ces occasions se rapportent à des périodes antérieures à 2015. Or cette année a marqué un changement très fort dans la psychologie nationale comme dans l'entreprise.
Avant 2015, un manager qui reprenait quelqu'un était critiqué, taxé d'islamophobie voire de racisme. L'année 2015 a montré l'existence d'un problème de sécurité, et une sorte d'unité s'est créée autour de ce constat, unité que nous avons d'ailleurs retrouvée dans l'élaboration du plan « travailler ensemble » à travers le soutien des organisations syndicales.
Il est pour nous très important de dire que, si des problèmes ont bien existé par le passé, ils seraient immédiatement identifiés et, le cas échéant, sanctionnés s'ils se reproduisaient aujourd'hui.